Pour Oliveira, cinéaste qui, à chaque film défie l’âge et la mort par une maturité toujours nouvelle, le cinéma est de plus en plus l’affaire d’un seul regard. Chez lui, le découpage et la rhétorique des images n’ont plus court car chaque plan semble découler de l’acte de voir et de se souvenir. C’est sans doute que le doyen des cinéastes a mieux qu’une autre conscience de la disparition des choses, guettée par la mort et l’oubli. Je rentre à la maison, saisissant dans un regard généreux et résigné quelques vues parisiennes, était une sorte de prélude à l’adieu d’un comédien quittant la scène. Porto de mon enfance s’ouvre comme une symphonie intime : un homme de dos dirigeant un orchestre, dans un face à face avec l’obscurité, illustrant un travail intérieur dont aucune image ne saurait rendre compte. Après ce prélude, où le film à venir semble s’inscrire dans la solitude de la mémoire, Oliveira peut commencer à partager les images qu’il possède ou recréées à partir de ses souvenirs.
La recherche du passé commence par une photo floue : une maison détruite, en ruine, masquée par les herbes hautes. La voix caverneuse d’Oliveira, évoquant simplement ses années d’enfance, couplets entrecoupés d’une berceuse chantée par une femme. Puis, le souvenir remis en scène d’une pièce de théâtre. Tandis que le petit-fils d’Oliveira figure le jeune spectateur, le cinéaste lui-même interprète sur la scène un voleur introduit dans une villa, nouant un dialogue avec la fille de la famille (l’actrice et réalisatrice Maria de Medeiros), lui jouant même un air de Fado. Moment singulier, peut-être celui où le cinéaste exprime son souci de passer la main à la jeune génération. Oliveira multiplie les moyens de faire revivre le passé : décors d’époque (le café Majestic, où il écrivit ses premiers scénarios), bouts de films et d’actualités montrant le Porto des années 30, chansons, poèmes… Son film, plus qu’une évocation de sa jeunesse et de ses aventures personnelles tout juste retracées, accomplit un libre travail de mémoire. Le cinéma, par quelques scènes recréées avec des acteurs, par quelques déambulations dans la ville -le tout superbement photographié par Emmanuel Machuel- y participe.
Loin de se limiter à un didactisme documentaire ou à une nostalgie sans partage, Porto de mon enfance brasse des images intimes qui rejoignent l’histoire de ce coin d’Europe riche d’un glorieux passé mais tenu à l’écart des grands événements du siècle. Le poème d’un ami mort en exil, pénétré de la saudade -mais aussi de la conscience d’un avenir nouveau pour l’Europe, plein d’espoir poétique et de rêves politiques- est longuement récité par Oliveira lui-même. On retrouve le goût du cinéaste pour le texte, sa déclamation et son interaction avec un décor, dont il émane quelque chose de spirituel. Rêverie gorgée de mélancolie et d’espoirs, Porto de mon enfance est un hommage à tout ce qui forme une culture, à ce qui fait l’âme d’un pays, d’une ville, d’un homme.