Au sein de l’œuvre de Leo McCarey, placée sous le signe de la comédie et de la légèreté, Place aux jeunes occupe une place totalement à part. Le cinéaste y aborde en effet un sujet douloureux, par ailleurs très rarement traité au cinéma : la détresse d’un couple de vieillards privés de ressources, contraints à quitter leur maison et à cohabiter tant bien que mal avec leurs enfants, lesquels n’acceptent qu’à contrecœur la gêne occasionnée. La vieillesse malheureuse est et était à l’époque une vision difficilement acceptable pour les spectateurs : si un enfant misérable ou persécuté provoque tristesse et chagrin, les mêmes servitudes affligées à une personne âgée suscitent au contraire un profond malaise.
Contrairement au réalisme noir qui caractérisait Vittorio de Sica dans Umberto D, Leo McCarey s’accorde ici de larges digressions dans le registre de la comédie. Si ces dernières allègent sans conteste le ton du film, elles n’en contribuent pas moins à accentuer le sentiment de culpabilité latente qui accapare l’observateur de cet odieux spectacle. L’intolérance de ces enfants déchirés entre leur désir de satisfaire leur bonne conscience et leur égoïsme naturel est d’autant plus insupportable qu’elle est opposée à la parfaite lucidité de deux petits vieux qui se sentent responsables de leur insouciance financière et se réconfortent l’un l’autre d’un amour que les années n’ont en rien entaché. La brutalité du discours est en outre renforcée par l’absence du « happy end » hollywoodien conventionnel : le film se conclue en effet par la séparation du malheureux couple, chacun étant placé dans des maisons de retraite d’une humanité fort douteuse.
Pour réaliser ce film, Leo McCarey mit au service de l’émotion et de la dénonciation sociale son talent narratif et dramatique. Comme dans ses meilleures comédies, sa verve naturelle soutient un récit dont la perfection n’a d’égale que sa simplicité. Petit à petit, inéluctablement, les grands-parents qui au début n’étaient que gênants deviennent indésirables. C’est en s’attachant à des détails, à des sons, à des regards, qu’il matérialise le gigantesque fossé qui sépare chaque jour un peu plus les deux générations.
Pour ces différentes raisons, Place aux jeunes mérite aujourd’hui d’être redécouvert à l’occasion de sa nouvelle sortie en salle, dans une société où le problème du rejet et de l’exclusion de nos vieux se fait chaque jour plus crucial.
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