Petites coupures, le troisième film de Pascal Bonitzer, poursuit l’idéal d’un petit cinéma intimiste parisien oscillant entre faux accents de thriller à la Chabrol et odyssée intérieure menant vers des contrées inconnues (campagne, province, terroir et autres mystères qui fascinent le Parisien du XVIe). On doit à Bonitzer un goût assez exquis pour la mécanique bien huilée, une tendance naturelle à faire naître la fiction de façon déconcertante (ici, un voyage de nuit aux allures de film noir), permettant souvent de faire oublier le propos plutôt antipathique de ses films.
Bruno (Daniel Auteuil) se trouve pris dans une aventures aux allures de damier amoureux : accompagné d’une jeune maîtresse occasionnelle, il se rend à Grenoble pour aider un vieux communiste mal en point. Celui-ci l’envoie comme go-between porter une lettre à son vieil ennemi, dans une demeure bourgeoise nichée au cœur d’une forêt. Là, Bruno se laisse séduire par Béatrice (Kristin Scott Thomas) et plonge dans les dédales de ses contradictions. La chanson est connue : récit existentiel flottant, rencontres et bouleversements, déchéance et rédemption mélancolique du petit bourgeois. De cette dynamique essoufflée sitôt que mise en mouvement (contrairement à celle de Chabrol, l’ironie de Bonitzer est toujours en porte-à-faux, entre deux chaises, pleine de mépris fasciné et de complaisance, limitée à une banale opposition dandy citadin paumé vs bourgeois grand cru), le cinéaste parvient à tirer le meilleur, soit un agréable divertissement dont on retient surtout l’habile ciselage (des dialogues, de l’interprétation), une maîtrise de petit artificier doué et quelques qualités rares pour ce qui relève avant tout d’un cinéma fémisard et peine-à-jouir (notamment la façon qu’a Bonitzer d’éviter tout naturalisme et de rendre belle et mystérieuse la plus froide vacuité bourgeoise).
La force du film tient donc avant tout dans le trouble irradiant de Kristin Scott Thomas, qui porte jusque dans son accent toute la part de fascination comprise dans le film. A côté d’elle, Auteuil poursuit assez joliment son parcours de séducteur has-been, en beaucoup mieux que Thierry Lhermitte et dans la droite lignée de Mauvaise passe. En tirant un certain mystère de toutes ses qualités très scolaires, Petites coupures tient donc de la passade un peu perverse, donnant à voir, même pour les plus retors, une belle démonstration de ce qui semble être aujourd’hui le seul cinéma de genre (en temps que mécanique éprouvée de codes et de motifs parfaitement définis) possible en France.