Décidément, le documentaire possède d’immenses ressources insoupçonnées et offre une souplesse de style dont les cinéastes qui investissent son champ usent souvent avec bonheur. Loin du carcan parfois rigide de la fiction (certainement du fait de codes plus difficiles à bousculer), les manières d’aborder ce genre semblent infinies. Traque tragicomique (Roger and me, The Big One de Michael Moore), investigation africaine et amicale (Doulaye, une saison des pluies de Henri-François Imbert), ou dénonciation humano-politique (les fresques sociales de Wiseman), les formes cinématographiques empruntées collent étroitement à l’acte singulier qui les sous-tend. Avec Petite conversation familiale, Hélène Lapiower apporte sa pierre à cette glorieuse histoire du documentaire.
La cinéaste interroge inlassablement à propos de leur identité juive, en plans fixes la plupart du temps, les membres de sa famille éparpillés aux quatre coins du monde. Tantôt comique, tantôt émouvant, le résultat de cette mise en questions intime révèle avec pertinence les aléas de la transmission d’une culture souvent bien trop rigide. De 1991 à 1999, se succède devant sa caméra une multitude de personnages attachants qui se scindent en deux clans : d’un côté ceux qui, désabusés, se désespèrent de voir le rigorisme des traditions perdre de sa vigueur et l’identité juive s’altérer au gré des métissages (les petits enfants de la troisième génération se sont mariés avec des Noirs, des Arabes, des Américains bouddhistes !), de l’autre ceux qui refusent de se laisser enfermer volontairement dans un ghetto et craignent de devoir prendre à leur charge un héritage traumatique. Et curieusement, si cette scission suit le plus souvent les lignes de rupture qui séparent les générations, le constat n’est en aucun cas systématique et les interviews, mises en valeur par un montage attentif, révèlent souvent des surprises.
Car la cinéaste se laisse bien volontiers aller à filmer des petites scènes impromptues et d’un naturel déconcertant dérobées au quotidien. L’effet produit par ces moments intenses est souvent amusant (voir la grand-mère qui harcèle le compagnon italien de l’une de ses petites filles à propos des pâtes qu’il préfère al dente), parfois révélateur (le discours critique naît aussi de ces petites frictions), et toujours farouchement attendrissant (la dernière scène, où son père manque de se mettre à nu avant de se raviser in extremis, est bouleversante). En évitant les travers d’une approche trop sentimentale ou engagée, Hélène Lapiower trace les contours étonnants d’une culture laïque aux racines profondément juives.