Premier long métrage de son auteur, Pavee Lackeen suit quelques personnages vivant dans le dénuement le plus total quelque part en Irlande, avec pour seule habitation des roulottes garées à proximité de zones industrielles. La « fille du voyage » du titre, c’est Winnie, fil rouge qui nous introduit auprès de cette famille digne en même temps que radicalement exclue de la société.
Impossible de ne pas songer au cinéma des frères Dardenne où à celui de Ken Loach. Granulosité de l’image et extrême pauvreté des protagonistes s’y tiennent la main pour donner naissance à ce qu’on appelle un peu hâtivement du « cinéma social ». Pourtant, s’il se situe à la croisée de ces deux là, Pavee Lackeen trouve sa propre voie sans jamais donner le sentiment d’une redite. Ni récit tendu et métaphysique (Dardenne), ni démonstration politique (Ken Loach), le film de Perry Ogden s’inscrit davantage dans une veine documentaire héritée de l’école anglo-saxonne des Richard Leakock et autres frères Maysles. Social, Pavee Lacken l’est, moins au sens où il s’agirait de donner à une réalité sociale donnée un caractère d’exemplarité (afin d’en tirer une leçon, de faire la dénonciation de rudes conditions de vie), que de filmer ceux qui n’ont de place nulle part, ni sur le territoire ni au cinéma.Généralement, depuis le néoréalisme, en particulier les expériences d’un Rossellini (opérer le choc de la fiction et d’une réalité brute qui existe pour elle même), les fictions sociales utilisent la trame fictionnelle pour créer une logique du sens à l’intérieur d’un cadre social réel. Logique du sens qui prend racine dans une conception religieuse ou politique du monde, quelque chose qui a trait à une idéologie.
Rien de tel ici. Le monde est là, et ce qui compte avant tout pour Perry Ogden c’est de filmer son héroïne, voir comment elle trouve ses marques dans ce délabrement. La fiction ici, vient de l’incertitude où se trouve le personnage, incertitude de son âge pré-adolescent et du monde qui s’offre à elle, que celui-ci prenne la forme d’une ouverture, d’un désenclavement futur (s’en sortir), ou d’un gouffre aussi noir que celui dont ont hérité ses aînés. C’est le sens de la première scène qui voit une vieille dame lui lire les lignes de la main et lui déterminer quel sera son futur. Pure fiction que ces affirmations divinatoires ou réalité surdéterminée ? Perry Odgen n’y répond pas. Il regarde cette pré-adolescente et les possibles qui s’offrent potentiellement à elle en dépit de la gangue déterministe qui semble ramener sans cesse les personnages à leur condition.