On a rarement vu affiche plus attractive que celle de Paris-Manhattan. Alice Taglioni serre contre son coeur la photo de son idole Woody Allen, derrière elle se cache un bel et sombre inconnu tendance Zénith de Lille, c’est Patrick Bruel : attention il va bientôt entrer dans sa vie. Le film est à l’image de son affiche, fait de gros ingrédients clichetonneux qui n’arrivent pas à prendre ensemble, s’agglomérant autour d’une photo qu’on n’arrivera jamais à sortir de son cadre. Alice Osvitz, pharmacienne, fan de Woody Allen et connue comme telle par tout le quartier, a franchement du mal à trouver l’amour. Autour d’elle gravite la fameuse famille juive complètement foldingue : le couple porno-chic de sa soeur avocate et de son mari dans la finance qui ont du mal à gérer une adolescente à graves problèmes (elle récite du Kundera, marche dans la maison avec ses écouteurs et se fait offrir une montre Chopard par son mec), les parents tradi-intello (le papounet lit Philip Roth pendant que môman se révèle alcoolique – une famille de fous Afflelou, on vous dit). Paris-Manhattan se voudrait en cela deux fois allenien, tentant de rejoindre dans ses gros traits la comédie allenienne (dialogues, mise en scène, personnage) autour d’une fan de Woody Allen (Alice Taglioni en femme à marier, inconsolable lunaire tendance Mia Farrow).
A cette woody-bouillie viennent fatalement se greffer des éléments de rom’ com’ française vulgos, entre Lol et L’Amour dure trois ans. Ces films ont tous le même défaut, qui consiste à dégainer les clins d’oeil socioculturels pour parler de leur époque : le pull en cachemire qu’on emprunte à maman dans Lol, le mode de vie Canal + germano-pratin chez Beigbeder, ici les masseurs de rue ou ce fait social à part entière, le Daily Monop (« ah moi quand je suis heureuse j’ai envie de me faire un Monop’ !! »). Et cette plaie (les petits fétiches culturels saupoudrés un peu partout) reste bien le symptôme le plus patent de l’impuissance française sur le terrain de la comédie romantique populaire. Dans Paris-Manhattan c’est une pile de posters, DVD ou extraits de la filmo du New-yorkais, dont l’apogée se révèle être l’apparition extatique de Woody Allen himself, fétiche parmi les fétiches, tampon de certification déposé sur le film. Dans 2 days in New York (qui se réclamait d’ailleurs, lui aussi, de la comédie allenienne) c’était Vincent Gallo qui fournissait la caution Big Apple aux gesticulations de Julie Delpy. Chez Beigbeder c’était Michel Legrand, qui sortait littéralement de nulle part. D’un film à l’autre ces petites épiphanies gardent intacte leur fonction, qui consiste principalement à confondre l’émotion du tournage avec celle de la fiction.
En attendant son climax digne des meilleurs épisodes de Fan 2, Paris-Manhattan renchérit dans ses trouvailles de mise en scène pour explorer la passion d’Alice : elle demande des conseils à son poster de Woody qui lui répond par des répliques tirées de ses films, distribue des DVD à ses clients à la place des médicaments (scène sublime où elle remet un cambrioleur sur le droit chemin en lui filant Meurtre mystérieux à Manhattan) et oublie ses bonnes manières quand on commence à dire du mal de Manhattan. Dans les soirées, au restaurant comme au travail une seule question, lancinante : mais enfin pourquoi tu aimes tant Woody Allen ? Pourquoi tu es fan de Cole Porter ? A ces questions pas de réponse, Alice a trop peur de ne pas se faire comprendre. Et Paris-Manhattan est à l’image de ce silence : l’envers d’une bouche pleine de fétiches culturels.