Présenté il y a quelques mois sur Arte dans une version écourtée, Paria sort enfin en salles dans son intégralité (2h05). Un événement cinématographique à ne pas louper pour tous ceux qui considèrent encore le 7e art comme un lieu de recherche esthétique et politique. Le troisième film de Nicolas Klotz (après La Nuit sacrée et La Nuit Bengali) évoque l’univers, peu décrit au cinéma, des gens de la rue sans pour autant verser dans le pensum misérabiliste. En résulte une oeuvre grave et délicate sur laquelle souffle tout du long l’énergie vitale de ses deux jeunes héros.
L’une des réussites de Paria est en effet d’avoir réussi à imbriquer étroitement au sein d’une même histoire deux types de récit : celui de l’apprentissage du héros qui entre de plain-pied dans l’âge adulte, et celui, à la limite du documentaire, de la confrontation avec le monde souvent mis à distance des SDF. Après avoir perdu son boulot et son appartement, Victor, 18 ans, se retrouve du jour au lendemain à la rue. Le film suit alors ses déambulations urbaines au cours desquelles il rencontre Momo, un jeune sans abris rompu à la vie sur le bitume. Loin de s’appesantir sur les misères et la précarité des sans domicile fixe, Paria choisit de s’immiscer dans leur monde le plus naturellement possible, et donc de ne pas poser un regard apitoyé sur des gens qui ne sont pas forcément tous en proie au désespoir. Interprété par des non professionnels que Klotz a rencontré dans la rue, les SDF prennent littéralement vie devant la caméra qui leur rend une identité trop souvent ignorée.
Tourné en D.V., Paria n’est pas qu’un compte-rendu fidèle d’une certaine réalité. Constamment sous-tendue par la recherche de la juste distance, la mise en scène du cinéaste avec ses cadrages souvent très beaux parvient à saisir l’humanité profonde des êtres saisis par la caméra. Il réussit ainsi à débarrasser un sujet très « phénomène de société » de tous ses clichés ou passages obligés. Et lorsqu’il se décide à entrer plus profondément dans l’intimité des SDF -lors de la scène de la douche au centre d’accueil ou de l’enlèvement des bandages pourris du vieux Blaise-, sa caméra n’en est pas plus inquisitrice ou voyeuriste. Paria est un film intransigeant qui nous ramène constamment à la problématique du regard sur l’autre, à sa subjectivité douloureuse et aux a priori qui en découlent. Pourtant, Nicolas Klotz ne force à aucun moment notre compassion ou nos sentiments. Son film crée simplement le désir d’en savoir plus sur ces hommes et femmes dont finalement si peu nous sépare…