Etroitement lié à l’humeur volatile des frères Weinstein, le cinéma d’Anthony Minghella apparaît logiquement au creux de la vague, à l’heure où l’indépendance de Miramax est officiellement de l’histoire ancienne. Après un Retour à Cold Moutain obèse et vacillant, le cinéaste voulait sans doute se refaire une santé en tâtant du social-contemporain. Mais ce retour à Londres, dans la grisaille déglingos où coexistent racailles acrobates et petits bobos découvrant la misère, sonne encore plus faux.
S’entichant d’une superbe bosniaque (Binoche), Jude Law passe l’éponge sur les vols à répétitions de son fiston, yamakasi plus beau et intelligent que la moyenne. Ici la misère est autant bigger than life que glamour, étudiée avec raffinement et empathie par une bourgeoisie drapée dans un colonialisme social des plus abjects. Jude Law y apparaît évidemment faillible, mais c’est son côté petit instructeur du bas peuple qui surnage réellement. Absoudre les conneries de pauvres, leur donner confiance et dignité, jusqu’à éluder le principe de classe. Le bobo, ici, n’est pas calculateur, il donne tout (son Mac, son Range Rover, sa parole de mari, de citoyen), découvre le monde comme un bon élève (pic : la prostituée philosophe pour qui Jude Law ne ressent qu’un aimable amusement) quand le pauvre, plus retors, plus sournois, sollicite, profite, consomme.
Du RMI à l’ISF, le malheur est cependant partout, rappelle Minghella dont la mise en scène dévoile les tragédies feutrées des beaux quartiers. Le privilégié trinque en silence (la fille de Robin Wright, copine pseudo bergmanienne de Jude, fait le poirier en pleine nuit et casse des assiettes) quand le prolo s’adonne aux bonheurs simples (un câlin, une viennoiserie serbe faite maison), vieille rengaine bourgeoise voulant que le plus malheureux n’est pas celui qu’on croit. En témoigne Jude Law, petit soleil psycho-progressiste et martyr bobo, qui porte le poids du monde sur ses épaulettes. Binoche surnage, impressionnante. A défaut de crédibilité, elle insuffle à son déguisement de pauvresse un érotisme et un mystère plutôt troublant. Minghella a beau y être pour quelque chose, son réalisme poétique s’avère plus gras qu’un kebab sauce blanche.