En adaptant le poème héroïque de Mickiewicz, Wajda a délibérément puisé dans ce que le patrimoine culturel polonais a de plus rassembleur et de plus consensuel. C’est un véritable hymne à l’unité nationale, à la Pologne intègre et reconstituée que le cinéaste évoque à travers l’œuvre majeure de la plus grande gloire littéraire de son pays. Le poème Pan Tadeusz, écrit par Mickiewicz en 1834, alors qu’il était en exil à Paris, raconte l’histoire de deux familles ennemies, les Soplica et Horeszko (les Montaigu et les Capulet polonais), qui finissent par s’unir, à l’époque où Napoléon entreprend la campagne de Russie, en 1812, contre l’envahisseur russe. Fasciné depuis toujours par le thème national, par l’identité à la fois éclatante et problématique de son pays, Wajda la cherche, l’exhume et la loue dans l’évocation d’un passé moins historique que mythologique, refusant tout naturalisme au profit de l’aura poétique et du lyrisme qui portent le texte. Ce dernier, plus qu’une simple source d’inspiration, est le véritable guide du film. Le texte abonde, reléguant par instant l’image au rang de simple illustration, aussi brillante soit-elle. Car la mise en scène de Wajda, gracieuse et fluide, épouse le matériau littéraire au point d’en être par moments prisonnière, oubliant toute dialectique pour se livrer à une encombrante louange du particularisme polonais et de son chantre le plus distingué, le poète Mickiewicz. D’où l’aspect chromé de sa « reconstitution poétique », qui organise une périlleuse concurrence du texte et de l’image, et qui ne prend de l’ampleur que lorsqu’elle parvient dans la seconde moitié du film à s’en libérer, par exemple dans de très belles scènes de bataille. Lorsque la tension monte entre les deux clans, qui finissent par se rejoindre pour tenir en échec un bataillon russe plus ou moins en déroute, Wajda montre l’étendue de sa maîtrise dans les scènes de groupe. Les enjeux politiques et idéologiques viennent structurer l’espace et circonscrire la scène qui devient un lieu de parole et d’affrontement, microcosme où se joue l’avenir de la nation. Mais là encore, les choix de Wajda n’évitent pas la contradiction : les personnages sont définis comme des silhouettes emblématiques, totalement exemptes de psychologie, et nous sont montrés que par gros plans, comme si leur visage buriné et leur voix éructante suffisaient à nous les rendre plus familiers…
Les Polonais, qui sont déjà cinq millions à avoir vu le film, ont apprécié et se sont reconnus dans cette fresque poético-historique, qui donne chair et vie à une case de la mémoire polonaise. Sans préjuger de l’universalité des thèmes abordés, ni des bonnes intentions de Wajda, il reste difficile pour les autres de pénétrer dans cette histoire sans se sentir parfaitement étrangers à ce qui s’y passe.