Il y a deux mois, Sin nombre nous cueillait par surprise sur un sujet potentiellement édifiant : l’immigration clandestine. Fukanaga démontrait à cette occasion que la leçon de chose lacrimo-tiers-mondiste n’était pas une fatalité et qu’il n’était meilleure caisse de résonance qu’un bel arc dramatique bandé de tensions esthétiques. Padre Nuestro est de cette même veine qui se faufile entre urgence filmique (le film est encadré de deux courses éperdues) et impressionnisme social. Réunis par le destin, Juan et Pedro s’embarquent pour les US dans le même wagon d’immigrés : le premier part à l’aventure, l’autre pour retrouver un père qu’il ne connaît qu’en photo. Mais, profitant de la naïveté de son compagnon, Juan va lui voler ses papiers et rendre visite à son paternel en se faisant passer pour lui. Tout tient sur cette idée, a priori casse-gueule, d’usurpation d’identité. Padre Nuestro aurait pu n’être que le portrait croisé de ces deux garçons, l’un trompant la vigilance d’un père, l’autre le cherchant éperdument sur le trottoir new-yorkais. Le film n’esquive jamais ce chassé-croisé, mais cache en son coeur comme un double fond dramatique : chacun de nos héros va avoir à composer avec la sphère de l’autre pour s’en sortir. Et y progresser.
Pour Juan d’abord, il y a ce « Padre », cette figure paternelle qu’il faut apprivoiser. Loin du père fantasmé, self-made-man riche et respecté, l’homme se révèle en fait vieux solitaire bourru. Et d’une défiance de chaque instant. Pour mieux l’arnaquer, Juan va donc devoir gagner sa confiance ; sans voir qu’il lui donne en même temps la sienne. C’est dans ce lent mouvement de l’un vers l’autre, dans ce rapprochement pudique, humain, entre deux étrangers, que se niche la belle singularité du film : pour trouver un père, pour retrouver un fils, un vieil homme taiseux et un ado paumé vont s’accomoder du mensonge, dépasser ce qui devrait être, choisir ce qui pourrait être, jusqu’à voir en l’autre une part d’eux-même. Le regard du paternel, dans la dernière bobine, trace littéralement ce lien indicible, indestructible, que même la vérité, on le sent vite, ne pourra venir briser. Moins intéressant est le parcours de Pedro, obligé de pactiser avec une fille des rues hirsute pour retrouver son père. Une love-story platonique en gestation qui répond, comme un écho, à la recomposition familiale en cours de l’autre côté du film. Traversée d’instants de grâce (la scène du bain), toujours dans l’anecdote plutôt que la démonstration, cette partie n’en sacrifie pas moins aux lieux communs du genre, entre petits écarts crapoteux et gestion d’un quotidien difficile. Pas bien grave. En bout de course, et l’air de rien, Padre Nuestro aura touché au but : nous bouleverser en sourdine.