Gainax a toujours entretenu avec son public une relation particulière et paradoxale. Studio fondé par des otaku pour les otaku, sachant manier à la fois la carotte -gros robots, gros nichons, petites culottes- et le bâton -représentation peu flatteuse des anime-fans, la fin d’Evangelion façon coup de pied au derrière-, Gainax est toujours resté sur le fil du rasoir, mi-social-traître, mi-pourvoyeur de came. Otaku no video, OAV en deux épisodes réalisé en 1991, est l’ultime illustration de cette schizophrénie. Si les auteurs d’Otaku no video semblent éprouver un minimum d’affection envers leurs personnages « hardcore-fans », ils n’hésitent pas, à travers des interviews d’otaku en prise de vue réelle, à montrer les aspects les moins reluisants du phénomène social. Alors que l’anime est centré sur une semi-success-story -un groupe d’otaku montant leur propre affaire-, ces entretiens dégagent indéniablement quelque chose de glauque et désespéré. Chose assez étrange, ils paraissent parfois franchement bidonnés : visages floutés, voix trafiquées, les intervenants semblent surjouer leur rôle en réagissant aux questions gênantes de façon excessive. Le parallèle constant avec la progression sociale du héros Kubo et de ses amis en deviendrait donc presque gênant, voire hypocrite. Surtout dans le deuxième épisode, beaucoup moins crédible et réaliste que le premier, beaucoup plus baroque et déjanté. Associer un délire fantasmatique et quasi-autobiographique -après tout, Otaku no video, c’est un peu l’histoire de Gainax- avec la déchéance d’anciens otaku, est à la fois pertinent et un peu malhonnête. Otaku no video est une oeuvre à moitié assumée, dont on ne sait pas s’il faut en tirer une morale, ou si le parallèle est complètement gratuit et propice à une expérimentation formelle qui perdurera au sein des productions futures du studio. Pourtant, c’est ce refus quasi-constant d’admettre sa véritable nature qui conduira Gainax à chercher de nouvelles voies, parfois à s’auto-saborder, à travers des personnalités aussi complexes que celles de Hideaki Anno (Evangelion, Gunbuster, Nadia…), à mi-chemin entre le génie et l’escroquerie.
Embryon d’une oeuvre en devenir, semi-documentaire didactique et quasi-exhaustif pour les néophytes, ou private-joke interne, Otaku no video n’a pas forcément très bien vieilli : il ne traite pas frontalement son sujet, et le chara-design de Kenichi Sonoda (Gunsmith cats, Exaxxion) est un peu trop sage pour sublimer réellement l’absurde burlesque de la plupart des situations. Mais au-delà du statut de la curiosité pour happy-fews, Otaku no video est une pièce importante et fondatrice du studio Gainax.