Des diverses transpositions modernes du mythe d’Orphée, on peut retenir le meilleur, la version de Jean Cocteau (1949), comme le pire : le catastrophique Parking de Jacques Demy -difficile d’oublier Francis Huster en pop-star tout de blanc vêtu, le front ceint d’un bandana rouge vif au look très « Véronique et Davina ». Entre les deux se trouve un film un peu à part, Orfeu negro, une adaptation (d’après la pièce de Vinicius de Moraes) du mythe dans le Brésil des favelas durant le carnaval de Rio. Loin d’être une véritable réussite cinématographique, le film de Marcel Camus (1959) nous apparaît, aujourd’hui, comme un objet de curiosité qui possède un certain charme (après tout Preminger nous avait bien gratifié, quelques années auparavant d’une version « noire » de l’œuvre de Mérimée avec Carmen Jones).
Carlos Diegues a choisi d’adapter à nouveau l’œuvre de Vinicius de Moraes, mais autant le dire de suite, son Orfeu penche plutôt du côté de la kitscherie soi-disant moderniste à la Demy que du côté de la poésie symboliste d’un Cocteau. Loin de s’approprier le mythe et de l’utiliser en tant que matrice au service de son propre univers, le réalisateur colle au récit et l’actualise avec une modernité dont il ne retient que les oripeaux. Par l’ajout de cette temporalité aux signes extérieurs bien trop visibles, le mythe s’éloigne de son universalité et tombe dans un ridicule dont il se serait grandement passé. Face à un Orphée se baladant dans la favela le portable collé à l’oreille ou composant ses mélodies sur un ordinateur dernier cri, on ne peut pas faire grand chose à part sourire. L’artificialité du projet n’en est que plus patente : sa favela reconstituée fait bidon, son interprétation et sa mise en scène n’arrivent pas à s’affranchir de l’origine théâtrale de l’œuvre.
Assumé cet aspect factice aurait donné lieu à un petit film kitsch tirant partie du mauvais goût général dans lequel baigne le carnaval de Rio (symbolique des masques, vulgarité des costumes). Malheureusement, l’œuvre de Diegues se prend trop au sérieux et souffre en plus d’une lourde erreur de casting. Orfeu (Toni Garrido), censé porter le film, n’est qu’un personnage fat, sorte de clone indigne de Ziggy Marley à l’assurance inébranlable. Qu’Eurydice puisse s’éprendre de lui demeure un mystère… Seules les quelques observations pertinentes sur le Brésil d’aujourd’hui, celui des inégalités sociales criantes, des commandos de la mort, sauvent le film de la catastrophe. Un enfer symbolisé par les ordures jetées par les habitants de la favela en bas d’une falaise ; la vindicte des Bacchantes revêtues des costumes pailletés du carnaval ne nous font regretter que plus amèrement un projet aux potentialités inexploitées.