Depuis Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel en 92, emblème parmi d’autres du jeune cinéma français des nineties -et pas le moins séduisant-, Laurence Ferreira-Barbosa a pu paraître plus discrète, elle n’en a pas moins continuer dans la double voie de la réalisation et du scénario : écriture pour et avec Cédric Kahn (les remarquables L’Ennui et Feux rouges), mise en scène avec le réjouissant J’ai horreur de l’amour et le plus ambitieux, mais moins convaincant La Vie moderne. Ordo, dès ses bondissants premières vingt minutes, semble faire retour vers l’inspiration originale de la cinéaste : vingt minutes où la biographie d’Ordo Tupikos, matelot, est résumée à la manière d’un inventaire oulipien -faits, dates, généalogie, lieux, etc. Une légèreté et une vitesse que le film va peu à peu retenir, replier, la déposer dans un creux de fiction, à la faveur d’un simple feuilletage de tabloïd. Ordo (Roschdy Zem, impeccable comme toujours) découvre que Louise Sandoli, star de cinéma en vogue, fut sa femme il y a longtemps, brièvement, alors qu’elle n’avait pas 20 ans et se prénommait encore Estelle. Ordo prend une permission et va la retrouver.
Là, esquive : le film ne joue pas la carte attendue du scénario satirique (le monde du cinéma pourrit tout, et la star méprise son ancien amour) pas plus que celle de la reconnaissance enchantée. Plutôt un entre-deux trouble : Louise accueille Ordo avec un sourire ambigu, puis très vite vient dans son lit. La belle maîtrise dramatique qui nous fait en arriver là (Ordo et Louise dans le même lit), lance au passage un faisceau de questions, encore une fois pas les plus attendues : ça fait quoi de coucher avec une star ? Est-ce que ça fait de moi une star aussi ? Est-ce que sa star là est bien la jeune fille que j’ai connue ? Ordo, le personnage comme le film, ne laisse dormir aucun de ces problèmes, s’en inquiète avec une certaine classe. Là, dans cette inquiétude, est la part la plus réussie, la plus étrange du film, qui laisse alors partir quelques protubérances (les souvenirs d’Estelle, qui étreignent soudain Ordo), comme Ordo laisse partir Louise de son lit, nue, qui se fond dans la nuit tel un fantôme désirable. Ferreira-Barbosa tient sans faillir tous les difficiles dosages qu’elle s’impose : maintenir un suspens (comment être sûr que Louise et Estelle sont une seule et même personne ?) sans en faire l’unique vecteur de la narration ; continuer le portrait du monde du cinéma tout en se prévenant de la caricature -les amis de Louise, présents sur le tournage, sont de purs êtres de parole, aussi la figure qu’ils incarne n’est jamais figée, depuis le réalisateur un peu naze au jeune amant de l’acteur principal, beau personnage. Tout Ordo tourne autour du trouble de la cohabitation d’une série de personnage dans un même espace, qu’ils partagent et habitent chacun d’une manière différente -traduction : tout tourne autour de la scène où Ordo interrompt un travelling sur le tournage en s’incrustant malgré lui dans le champ de la caméra, fumant sa clope sur un banc, tranquille, classe. Plutôt qu’un discours sur la société du spectacle, Ferreira-Barbosa, en cinéaste, préfère les rondeurs retorses des affrontements en piscines bleutées, des plans de table, d’un art de la disposition des images et des ombres.