Un film indien réalisé à Paris et dans ses environs : l’idée semble saugrenue et mérite cependant qu’on s’y arrête un peu. Vijay Singh, dont c’est le second film, décrit ici l’arrivée dans la ville lumière d’un jeune Sikh en quête d’asile politique. Il se retrouve coincé entre le quartier environnant du passage Brady et quelques personnages rencontrés par hasard. Bien vite, amours, quiproquos et détours bondissants vont mettre sa vie sens dessus dessous, délimitant l’horizon limité mais sympathique d’un tel film : comédie populaire à mi-chemin de Bollywood et du petit théâtre de boulevard, monde incertain où l’on parle indistinctement indien, anglais ou français.
Inutile évidemment d’attendre des miracles de One dollar curry, mais le rythme trépidant du film et son recours à une constante jovialité de surface font bien vite oublier limites de l’interprétation et indigence de certaines mises en situation. La tentation de l’outrance et de la parade (le burlesque caricatural de la dispute avec le vendeur de kebabs) est amortie par la douceur des caractères et la relative sophistication des plans, couleurs chatoyantes et musiques entraînantes. Surtout, le film parvient dans sa seconde partie à redoubler l’intérêt du spectateur en assumant pleinement son statut de bienveillante contrefaçon de cinéma Bollywood : plusieurs séquences de danse ou de chant, pleines d’une grâce exotique et multicolore, font oublier l’origine géographique du film tout en jouant finement avec la notion de reproduction illicite (le côté imposteur de la plupart des personnages principaux, souligné par les différents registres de langues et qu’accentuent encore les multiples méprises concernant les paroles des chansons).
Ce jeu d’allers et retours entre forme originale et forme contrefaite, qui atteint son paroxysme lors de la scène de rituel mortuaire au bord d’un fleuve de banlieue (on se croirait, alors, sur les rives du Gange), témoigne d’une malice et d’une vitalité assez éloquentes. Il n’est pas dit que Singh soit un bon et prometteur cinéaste, mais son côté gentil contrebandier, sa fougue de faussaire ont quelque chose de profondément rassurant quant à la capacité du cinéma à se muer, en quelques tours de passe-passe d’habile bricoleur, en terrain de jeu et réserve d’ailleurs infiniment renouvelés.