Christian Clavier est à peu près l’un des seuls, parmi les vestiges du Splendid, à tenir encore solidement sur ses pieds. L’acteur a su se construire un personnage pérenne, conserver la justesse de ton de ses vertes années, tout en jouant à merveille de l’embonpoint bourgeois, du gras menton parvenu. Au milieu d’une production comique française globalement accablante, il sait jeter, ici et là, de mystérieux éclats de talent, sa virtuosité scintille quand la mise en scène veut bien cesser cinq minutes de se faire cancre (cf. L’Enquête corse). On croit même déceler, dans le visage de Clavier, d’authentiques linéaments de gravité, ou de lassitude, une perspective dramatique hypothétiquement troublante.
Sur ce strict registre, ce n’est pas On ne choisit pas sa famille, grasse comédie, qui nous donnera raison. De son premier film en tant que cinéaste, on n’attendait certes pas La Nuit du chasseur, mais les premières scènes font très vite s’effondrer tout espoir de voir s’épanouir Clavier dans sa nouvelle discipline. C’est laid, très mal fichu, monté à l’aveugle, boudiné de clichés. L’histoire est celle de César Borgnoli (Clavier), acceptant pour de l’argent de se faire passer pour le mari de Kim (Muriel Robin), compagne de sa sœur Alex (Helena Noguerra), et de l’accompagner en Thaïlande pour aller chercher une petite fille qu’elles désirent adopter. Si l’oeuvre évite le krach filmique, l’effondrement absolu, c’est uniquement grâce au talent de Clavier, l’acteur. A son habitude, il rutile, compose un délicat mélange entre les restes du marginal boulevardier (manant teigneux, crapule rampante – Jacouille) et le comédien nanti (aristo droitier dédaigneux – Jacquard). Jacouille et Jacquard dans un seul corps, c’est le même Clavier siamois qui s’affirme ici, avec le même talent, la même maîtrise de la mimique et du tempo. Comme cinéaste, par contre, c’est catastrophique : Clavier singe les comédies de Veber et de Poiré, reprend leurs motifs, cherche sans y parvenir à en reconduire le style, le ton, l’alchimie.
Avec une invraisemblable désinvolture, Clavier confronte son traditionnel personnage d’histrion conservateur à ses plus grandes phobies (l’autre, sous toutes ses formes : l’étranger, l’homosexuel, la femme, l’enfant), enregistre l’effet comique du décalage sans jamais rendre son personnage à la raison. Le ressort comique d’On ne choisit pas sa famille est censé tenir sur cet entêtement. La bêtise de César Borgnoli persévère à tel point qu’elle se réalise, au sens propre, partout autour de lui – et c’est le plus grave, enferme le film dans son hallucination rétrograde : voir la façon consternante dont les Thaïlandais sont représentés / fantasmés, affublés d’énormes oreilles en caoutchouc, chantant Sœur Sourire et Luis Mariano, débitant des âneries, mangeant essentiellement des limaces. Voir aussi la contamination homophobe et xénophobe d’un personnage à l’autre (à travers notamment ce vieux gag putréfié du nom exotique qu’on écorche : Robin, outrée par l’étroitesse d’esprit de Clavier, se laisse finalement gagner par ses manières, et puis bientôt Jean Reno, lequel pourtant habite depuis longtemps en Asie). Alors évidemment tout cela est navrant, et les tentatives de Clavier pour contrebalancer son propos (miser sur l’autodérision, accentuer le ridicule du personnage, le maculer de toutes les couleurs possibles – cheveux teints en rouge, visage barbouillé d’orange ou de bleu) sont trop discrètes : devant ce film on est triste de rire, on rit mais déçu, las et répugné. En résumé donc, les spectateurs attirés par la consonance leforestière (oui, Maxime) du titre, peuvent, et même peut-être doivent, passer leur chemin.