Tourné en treize jours, lors de la post-production de son précédent HA HA HA, le nouveau Hong Sang-Soo tire un certain bénéfice de sa modestie. Celle d’un film s’offrant d’emblée comme très mineur, exprimant à peine plus que la compulsion de son auteur : tourner sans relâche, faire toujours plus de films pour n’obtenir idéalement aucune réponse, tourner obstinément autour du même pot, celui des gueules de bois amoureuses d’une poignée d’hommes et de femmes plus ou moins liés au milieu du cinéma. Fidèle à sa ligne, ce dernier film est donc comme les autres pensé selon une méthode que l’on ne présente plus : installation de longs plans séquences observant une beuverie ou la séduction au travail, qu’un très léger zoom ou mouvement de caméra bouleversera plus ou moins selon la météo des affects. La structure narrative d’Oki’s Movie, ses personnages, leurs motivations, tout spectateur d’au moins la moitié des dix précédents films du Rohmer coréen se rappellera les avoir déjà identifiés. Et pour cause : le film est explicitement récapitulatif.
Divisé en quatre sketchs autonomes – mais traversés par les mêmes personnages –, ce onzième film s’offre comme la plaisante conceptualisation du principe de piétinement qui porte depuis toujours ce cinéma. Tétralogie aisément dominée par le tout premier fragment, « Un jour pour l’incantation », accompagnant Jingu, un jeune cinéaste, dans la journée précédant la première présentation publique de son dernier film. Lee Sunkyun, l’acteur qui l’incarne, parvient à lui seul, en un haussement de voix, un geste nerveux, un regard un peu trop flottant, à donner à toutes les séquences une hauteur renvoyant aux grandes heures de l’œuvre (évidemment la belle trilogie inaugurale, mais tout autant les deux sommets que restent les plus récents Woman on the beach et Night and Day). Une scène en particulier suffit à confirmer la pleine santé du cinéaste : lors de ladite présentation, Jingu est alpagué par une jeune femme qui l’accuse d’avoir jadis brisé le coeur de sa meilleure amie. Hong Sangsoo capture alors, non sans perversité, l’embarras progressif d’un homme public. Mais cet embarras ne dénote pas pour autant une culpabilité : tout au long de la scène, par le biais de ses arguments, sera aussi accordé à Jingu le bénéfice du doute.
Comme toujours, c’est quand ça patauge que les plans de Hong Sang-Soo atteignent leur vraie puissance, lorsque ses personnages sont amenés à faire montre d’un sang-froid de la dernière chance, face aux situations les plus insurmontables. D’autres scènes parmi les autres sketchs parviennent d’ailleurs aussi, dans une moindre mesure, à restituer cette vaillance de personnages au bord du gouffre. Plusieurs dans le deuxième fragment notamment, intitulé « Le Roi des baisers », et qui confronte le même Jingu, cette fois étudiant, aux aléas de la séduction d’une camarade, la Oki du titre (Jung Yumi). Dans un restaurant, un jardin public, à l’entrée de l’appartement de la jeune femme, ce dernier fascine encore par son inaptitude à aller au bout d’une situation qu’il aura pourtant provoquée. Rien de plus compliqué pour le wannabe cinéaste que de conclure, trouver la bonne prise, et cet engouffrement confère aux moments décisifs de ce segment une grâce sans égal.
Reste qu’une poignée de séquences géniales ne peuvent suffire à faire un grand film, aussi court soit-il (à peine une heure vingt). Le tout dernier sketch, qui donne son titre au film, si sa structure intrigue et séduit (mise en parallèle de deux épisodes amoureux de la vie d’Okie, ayant eu lieu au même endroit, mais à un an d’intervalle et avec deux hommes différents), fait étrangement ressortir les coutures de l’ensemble. Comme si l’autonomie des fragments ayant jusqu’ici fait loi se voyait in fine scolairement requestionnée. Oki, Jingu et Song, au-delà de leur charme, seraient-ils les simples pions d’un grand échiquier qui ne dit pas son nom ? Si ce soupçon modère un peu notre enthousiasme, il ne peut néanmoins suffire à nier la belle tenue d’un film certes assez anecdotique, mais tout à fait digne de son auteur.