Passé relativement inaperçu au dernier festival de Cannes, Odete en était pourtant l’un des films les plus marquants. Deuxième coup d’éclat pour le portugais João Pedro Rodrigues, brillant auteur il y a cinq ans d’un chef-d’œuvre du cinéma fantastico-gay, O Fantasma. Odete, elle, serait plutôt queer, selon la formule en vigueur pour parler d’un hypothétique troisième sexe : le dernier film de João Pedro Rodrigues vogue sur les rives incertaines de l’identité et du désir, avec comme point d’aboutissement une image renversante qu’on se gardera bien de déflorer. Dans Odete, il y a d’abord Rui qui voit périr son grand amour Pedro dans un accident de voiture et souffre le martyr ; il y a Odete qui désire ardemment un enfant et se fait larguer par son compagnon ; et puis l’improbable : Odete qui affirme être enceinte de Pedro, laissant Rui hostile et incrédule.
De cette trame initiale naissent les circonvolutions d’un étrange récit dans lequel les choses peu à peu mutent et se transforment. Il y a du Cronenberg chez Rodrigues, influence déjà pressentie dans O Fantasma, même s’il est à la fois moins horrifique et plus sentimental que le cinéaste canadien. Ici l’impuissance face au désir sans objet, la hantise de la perte et de la solitude font imaginer des solutions originales aux personnages pour pallier leur état de manque. Cinéma d’obsessionnel, cinéma érotomane aussi, dont la fine membrane mélodramatique ne demande qu’à se laisser déborder, à éclater en gerbes colorées (belle photographie de Rui Poças), ce que João Pedro Rodrigues répugne encore un peu à faire, tenu par un rigorisme un peu sec. Il faut voir pourtant cet érotisme morbide dont le film est capable, cette sentimentalité vibrante face au deuil pour comprendre qu’on tient l’un des cinéastes les plus prometteurs de sa génération. Faire l’expérience d’Odete, c’est moins entrer dans un univers délirant et en transe qu’avancer à pas feutrés dans un couloir sombre, où des silhouettes se frôlent dans une proximité érotique et dans la plus intense des solitudes.