Après La Chute du faucon noir de Ridley Scott et en attendant la vague redoutée des fictions de guerre post-11 septembre, Nous étions soldats vient confirmer la tendance déplaisante d’un cinéma américain qui ne se veut plus seulement de guerre -genre connu et usé jusqu’au dernier chargeur- mais carrément belliqueux, cinéma patriote et primaire, bête et méchant. Produit de propagande à la gloire de la vertu combattante d’hier et de toujours, le film de Randall Wallace est un peu au cinéma américain récent ce que la phrase du président Bush -« quiconque déclare la guerre aux Etats-Unis choisit son propre anéantissement »- est à la diplomatie internationale de l’année 2001 : une menace grossière et sans mesure, une exhibition politique de trop. Car, qu’on ne s’y trompe pas, le temps qui conjugue le verbe du titre –Nous étions soldats– est un leurre, comme la guerre du Vietnam qui sert de trame historique prétexte à cette mascarade. L’honnêteté (rire !) aurait dû afficher : « Nous serons soldats ! » tant le film apparaît comme une justification de toutes les guerres à venir contre tous les ennemis de demain.
Comme toute œuvre de propagande, le film de Randall Wallace ne surprend jamais par sa forme : il s’agit juste d’emballer le produit pour vendre le contenu. Fidèle au topoï « son et lumières » lancé par Spielberg et son déjà douteux Il faut sauver le soldat Ryan –il faut : encore une injonction !- la représentation de la guerre correspond ainsi à l’attente supposée d’un public appréciant d’autant plus la débauche d’effets spéciaux qu’il la juge en accord avec la fameuse « expérience du terrain » telle qu’il se l’imagine. Ne rien voir, ne rien comprendre au cœur de la jungle, c’est un gage de vraisemblance qui présente l’avantage commode d’associer spectateur et soldat dans la même mauvaise perception. Pour peu que les vétérans rappliquent et crient d’une même voix : « c’était vraiment ça », les suspicieux sont salement renvoyés à leur pensée stérile. La guerre, c’est d’abord une mêlée virile, pas un truc pour délicats ! Première leçon à méditer.
Une fois la question de la forme évacuée, une fois rallié le camp des spectateurs qui aiment l’action et la vraie, la leçon de choses militaires peut se faire dans la discipline et le calme : or, si la plongée dans plus d’une heure de pur combat provoque vite l’ennui, la visibilité des messages idéologiques véhiculés par les scénaristes déclenche souvent l’hilarité avant de laisser place à une certaine consternation devant tant d’âneries. Impossible de lister tous les messages, depuis la peur de l’Ennemi réactivée par le souvenir du massacre de Custer par les Indiens -Custer, l’Américain du « un bon Indien est un Indien mort »- jusqu’à l’explication de la guerre par Mel Gibson à sa fille -« une chose mauvaise mais nécessaire contre les Méchants ». Pour résumer, racontons cette scène religieuse : l’action se passe dans une chapelle devant un immense crucifix ; le bidasse demande à son colonel si l’on peut être père tout en étant soldat. Le colonel répond que bien servir son pays permet peut-être de mieux éduquer ; les deux commencent alors la prière. S’adressant à Dieu comme à un vieil ami, Mel Gibson lui demande, une fois au Vietnam, d’écouter les prières de ses hommes comme celles de leur ennemi qui « prient selon leurs rites » ; puis, se ravisant, en un geste tout hollywoodien, il lui lance à peu près : « Pour les vœux de nos ennemis, tu peux laisser tomber, aide-nous plutôt à leur mettre une raclée ». Le jeune soldat reste comme surpris par la foi cavalière de son chef. Et nous donc ?