Le mélo colle aux doigts, dans Nos Souvenirs brûlés, à chaque étape de tous les chemins qu’emprunte simultanément son récit. C’est dommage, parce qu’en certains endroits, certaines scènes, le film de Susanne Bier décolle un peu de l’inertie du genre anonyme auquel il se rattache – disons, pour schématiser, la grasse histoire de rédemption avec mise en scène académique et acteurs au turbin. Halle Berry incarne l’épouse d’un homme sans défauts : bon mari, bon père, héros à l’occasion, puisque c’est en secourant une femme battue qu’il trouve la mort, abattu par le mari violent en pleine rue. Aucun défaut, sauf un : au plus grand désespoir de sa femme, il n’a jamais laissé tomber son ami d’enfance (Benicio del Toro), un supra-loser, qui au lieu d’embrasser la carrière de juriste qui s’offrait à lui a plongé dans l’enfer de la drogue jusqu’à devenir un junkie pouilleux. Une fois le mari mort et enterré, et tandis que Halle Berry brise la glace avec le vieux pote qui fout la honte, deux scénarios s’écrivent : un pour madame, qui doit, avant même de faire le deuil de son mari, réaliser et accepter sa disparition ; un pour monsieur, qui doit décrocher, se racheter une respectabilité, prouver à Halle Berry que son défunt mari n’était pas resté sans raison son ami, malgré sa déchéance. A ces deux récits de réconciliation avec la vie, s’ajoute naturellement un troisième, qui en est la synthèse et prend la forme d’un suspens sexuel, quand Del Toro emménage chez la veuve pour entamer sa cure de désintox.
Les ficelles sont grosses, grosses comme le certificat de bonne moralité que le film s’attribue en toutes occasions. De toute façon, un film avec des scènes où Benicio del Toro (assez insupportable durant tout le film, tandis que Halle Berry est plutôt bien), où del Toro, donc, imite le toxico en manque en hurlant et se tordant sur un matelas, le tout monté en jump cuts, ça, hé bien c’est juste pas possible. Souvent le canevas du film est abîmé par un tutti frutti de lourdeurs, de cornets d’émotion pâteuse, de facilités narratives, de monologues imbuvables sur la rédemption, de gosses mignons qui font monter la sauce en interrogeant les adultes avec de beaux yeux attendrissant. C’est dommage, car Nos Souvenirs brûlés sait ménager de précieux moments de suspension dans son récit. De temps en temps, quelque chose arrête le film dans sa course : une scène, une réplique, un personnage secondaire qui revient sans crier gare, un revirement dans la chevauchée vers le rétablissement promis des équilibres. C’est par exemple cette belle scène de repas, où l’ex-camée amie de del Toro demande brutalement à Berry et ses enfants une foule de détails anodins sur la vie du disparu, et la réticence peu à peu vaincue par la veuve à répondre à ce jeu, tandis que les enfants s’y adonnent sans arrière-pensées. Quand le film se tient au plus près de la banalité, du dérisoire qui vient hanter de toute son idiote insistance le recueillement du deuil, alors il fait d’autant plus regretter les facilités qu’il s’autorise partout.