Le cinéma de Henri-François Imbert, dans la simplicité et le dénuement de ses supports d’expression (photos filmées en banc-titre, caméra DV, Super-8, 16mm), se nourrit d’une hypothèse fondatrice, celle de l’image manquante. Dans Sur la plage de Belfast, le cinéaste découvrait dans une Super-8 d’occasion une bobine de film amateur inachevé, dont il entreprend de retrouver leurs auteurs pour, peut-être, terminer le film. Dans Doulaye, une saison des pluies, c’est l’absence de lettres de Doulaye, un ami qui ne donne plus de nouvelles, qui enclenche le récit et le voyage au Mali. No Pasaràn lui aussi s’origine dans une interruption. Quelques cartes postales retrouvées, appartenant à une série éditée en 1939 dans les Pyrénées Orientales, près de la frontière espagnole, montrent le soudain exode des combattants républicains, forcés de fuir l’Espagne après la victoire des nationalistes de Franco : Républicains arrivant au Boulou, colonnes d’exilés, parc de voitures ou troupeaux de bétail confisqués par les autorités française dès la frontière franchie, soldats français et nationalistes échangeant des cigarettes au poste frontière, etc.
Ces cartes sont numérotées, Henri-François Imbert en possède quelques-unes seulement, il en manque au moins une vingtaine. Jamais postées, elles ont été conservées comme autant de documents historiques et le cinéaste, en partant à la recherche des images perdues, va dérouler cette histoire, compléter la série comme on complète un album photo (d’où le sous-titre du film, entre parenthèses), comme on rétablit la continuité d’une mémoire que le temps aurait segmentée. Peu à peu, à l’image d’un texte ancien, le récit de cet exil se déploie et s’étend dans l’horizontalité (l’épouvantable réception après la traversée des Pyrénées : les miliciens sont parqués derrière des barbelés, dans des « camps de concentration », l’expression n’ayant pas, à l’époque, la résonance qu’elle allait acquérir avec la prise de conscience de la réalité de l’Holocauste) et dans la profondeur : mise à nue du devenir des lieux (fondus enchaînés entre les photos des cartes et la topographie d’aujourd’hui) mise à nue, aussi, des correspondances possibles entre la destinée de ces réfugiés et celle, soixante ans plus tard, de Kurdes parqués à Sangatte, les yeux rivés sur la mer (l’Angleterre, au loin, qui montre ses flancs) qui lentement se confond avec les plages méditerranéennes où les Espagnols étaient regroupés. Soit une fulgurance politique qui donne à ce film doux, dont le temps épouse celui du matériau initial (les cartes postales, images fixes d’une histoire mouvementée), une force impressionnante.