On n’avait rien jusqu’ici contre Zabou Breitman, wannabe cinéaste à la quarantaine rugissante. L’Homme de sa vie traduisait une volonté rafraîchissante de penser en termes d’images malgré la maladresse du débutant. Je l’aimais était beaucoup plus faible et quelconque, mais la faute en revenait surtout à Anna Gavalda. Pour No et moi, pas d’excuse : Breitman est seule responsable de ce qui est certainement l’un des films les plus abominables de l’année. Il faut dire qu’à moins d’un coup de génie, toutes les conditions étaient réunies pour se vautrer en beauté.
Le pitch est à peine croyable : No est donc une jeune S.D.F. (avec gouaille parigote et ongles sales) qu’une lycéenne consciencieuse (elle a sauté une classe) prend sous son aile. D’abord, pour l’aider à faire un exposé sur les clochards à Paris ; ensuite, pour mettre un peu de joie dans la maison (No parle très fort et elle est super rigolote). Oui mais voilà : les pauvres sont plus tordus qu’on ne pense, et la B.A. tourne en eau de boudin. Ce n’est pas la faute de la petite, vraiment trop gentille, ni de ses parents super cools mais fermes quand il faut (Zabou herself et Bernard Campan, lequel a visiblement oublié qu’il fustigeait jadis les personnages qu’il interprète aujourd’hui avec un sérieux déprimant), ni même de No, c’est la faute à la société. Ce qui pourrait faire l’objet, on n’en doute pas, d’un autre film de Zabou Breitman, à condition toutefois d’y trouver matière à émotion et possibilité de belles images.
On a bien compris sur quoi reposait No et moi : l’embarras des riches à l’égard des pauvres, leitmotiv moral vieux comme le monde, mais très à la mode en temps de crise. D’où ce très évocateur désir d’identification du titre, qui réunit personnages sédentaires et public potentiel dans le même état d’âme. Pris en charge par une gamine mignonne comme tout, le récit finit de s’inscrire, on ne peut plus clairement, dans le registre de la fable pour riches, où il s’agit moins de combattre la misère que d’apprendre à vivre avec, comme n’importe quel autre problème domestique. À la souffrance sociale, Breitman oppose d’ailleurs la souffrance intime qui pèse sur les parents de la narratrice, bouleversés par la mort de leur bébé. Manière pas vraiment subtile de rappeler que l’argent ne fait pas le bonheur ? Il y a beaucoup de ça. Quand la clocharde apprend la nouvelle, racontée en plan séquence par une Zabou sous le choc, façon confession chez Delarue, on voit bien qu’elle n’en mène pas large. Enfin, on se contente de l’imaginer, le film cadrant pleins feux sur la bourgeoise qui retient ses larmes, laissant des miettes à sa pauvre confidente.
Certes, le plus gros du film n’est pas aussi nombriliste. Il y a là une indéniable empathie envers le sort des miséreux, laquelle confine néanmoins à une forme de fascination zoologique, doublée d’une aubaine pour produire de belles images. Une crise de manque est l’alibi idéal pour un clip sur fond musical d’électro chic, une réunion de clodos au crépuscule, l’occasion de se payer un plan en grue de la gare d’Austerlitz avec le métro aérien. Sans oublier No, SDF bigger than life interprétée avec une outrance de show girl par Julie-Marie Parmentier, spécialiste du prolétaire trash (vue chez Isild Le Besco ou Guédiguian) que Breitman circonscrit à un registre presque canin : compagne de jeu rigolote pour les enfants, que les parents finissent, attendris mais pragmatiques, par abandonner au pied d’un lampadaire.