Daniel Day-Lewis en Marcello Mastroianni, Nicole Kidman en Anita Ekberg, Marion Cotillard en Anouk Aimée, Penelope Cruz en Sandra Milo ou même la simple apparition de Sophia Loren (dont le seul rapport professionnel à Fellini se résume à la remise d’un Oscar d’honneur en 1993) : Nine apparaît moins comme le remake d’un film de Fellini (en l’occurrence Huit et ½) que celui de l’Italie des années soixante, celle du miracle économique et de La Dolce vita. Rome, centre des plaisirs éphémères, était devenu le paradis des stars américaines décadentes qui, toutes, rêvaient de faire de la capitale italienne un Hollywood sul Tevere (un Hollywood-sur-Tibre).
De Huit et ½ à Nine, il faudrait peut-être voir en ce titre la croyance d’un certain Hollywood en un « progrès » du cinéma par le biais du remake et de la tautologie. Mais ce qui faisait la particularité de Huit et ½ (l’exploration de l’inconscient comme réservoir poétique, et de l’état d’âme de l’artiste en mal de création) se retrouve complètement flouté, atténué, voire inexistant dans Nine, qui opère une véritable « désonirisation », remise à plat dégonflant le film de Fellini de son imaginaire délirant. Il faut dire que Nine roule à l’hybride. Après le film en 1963, il y eût une transposition en spectacle à Broadway en 1982. Ce fut Nine. De là, surtout, l’idée d’une ré-adaptation pour le cinéma, mais en chanson. Et à ce jeu de téléphone arabe, le film y aura perdu toute sa substance dans l’oreille de Rob Marshall, lui qui n’y a vu que la possibilité d’un épisode 2 de Chicago.
Woody Allen (Stardust memories) ou Bob Fosse (Que le spectacle commence) s’étaient déjà essayé plus ou moins brillamment à surfer dans les eaux du chef-d’oeuvre de Fellini. Exercice de crise de l’artiste, remise en cause et tours de nombril dans la carrière d’un cinéaste ? A ce jeu là, s’inspirer de Fellini revient à passer ses propres imaginaire et inconscient au rayon X. Et si chez Woody Allen ou Fellini lui-même, le film épouse la forme de cerveaux géniaux et malades, chez Rob Marshall, le test d’imagination, le révélateur de névroses et d’angoisses se limite à la vision d’un monde terne et grisou, à l’image de la photographie de certaines scènes du film.
L’histoire, on la connaît : un réalisateur en crise intérieure erre entre les femmes de sa vie et ses propres démons dans un film en train de se faire. Avec le noir et blanc, c’est à peu près tout ce qu’aura retenu Marshall de Fellini, n’y voyant qu’un excellent prétexte pour fourguer du sex-appeal dans un enchaînement de numéros de cabaret rose-bonbon filmés comme si on y était et où chacune des femmes de Nine se transforme à un moment ou à un autre en pute de luxe (on ne soulignera jamais assez la misogynie du film). Décors cheapissimes, scènes de dialogues servant de couloirs parlés entre les chansons, esthétique bling-bling et racoleuse : tout est en place pour mettre chacun des acteurs en valeur en vue des Oscars et organiser la même rafle de récompenses que pour Chicago (l’affiche ressemble vraiment à une piste de course olympique, où seule Cruz concourra d’ailleurs). Dépourvu de toute veine carnavalesque et de toute bizarrerie, Nine n’avait qu’un objectif : « faire cinéma ». Et c’est sans doute dans cette optique qu’on retrouve (comble du mauvais goût) Sophia Loren en mère de Guido, tellement cadavérique qu’elle est filmée de loin. Voilà qui résumerait à merveille la bêtise crasse du film : pour rendre hommage à Fellini, Rob Marshall est allé chercher l’égérie de Vittorio de Sica.