Après Peut-être (1999), réveillon SF avec Paris ensablée et Belmondo en chef bédouin, Cédric Klapisch s’attaque à un nouveau genre : le polar. Cela a l’avantage de rompre avec les films de famille socio-sympathiques (Le Péril jeune, Chacun cherche son chat, L’Auberge espagnole) qui ont fait l’identité du réalisateur et qui finissaient par rendre étroite sa marge de manoeuvre. Klapisch apparaît ici plus ambitieux et en appliquant la formule de son cinéma (naturalisme social + humour) aux codes du film noir, il entreprend une greffe a priori moins vouée à l’échec que le Peut-être déjà cité, où le mélange des genres donnait un résultat plus qu’improbable.
Que le format du genre puisse permettre au cinéma français de se libérer de son syndrome « Nouvelle vague » ne fait plus aucun doute. C’est la nouvelle idée à la mode depuis quelques années. D’inspiration américaine -regardez Tarantino, regardez les frères Cohen, etc. -, elle est une autre façon de dire que les films français manquent de scénario, d’histoires. C’est la définition « Jean Gabin » du cinéma : « un film, c’est trois choses : une histoire, une histoire et une histoire ». Or, le polar (comme genre) est considéré d’abord comme un réservoir infini de bons scénarios ; ensuite comme une matière à exercice de style. Autant dire un filon ! Et ce n’est pas pour rien qu’Audiard (Michel) n’a jamais cessé d’être la référence en la matière ; d’autant que chez lui, la stylisation du polar est indissociable du mode parodique qui a fait sa pâte et qui est le registre privilégié par les néo-polars depuis Tarantino. Une fois évacué l’argument principal de Ni pour, ni contre, qui n’a rien de très nouveau -une jeune journaliste désoeuvrée voit son existence transformée au contact d’une bande de braqueurs-, tout le film de Klapisch tient donc à son style. Mais, justement, le réalisateur ne parvient pas à faire de choix à partir de sa base polar.
Or, ce qui est un peu oublié dans cette considération tactique pour le film noir comme renouveau du cinéma français, c’est que ce genre, plus qu’aucun autre, n’a jamais cessé d’évoluer avec son temps : pour faire court, on dira qu’en France il y a deux manières de faire du polar. Celle de Jean-Pierre Melville au lendemain de la guerre, déjà prise par la fascination pour le modèle hollywoodien, mais où le style est avant tout contemplatif, privilégiant toujours l’enregistrement documentaire sur le développement de l’histoire, comme une archive fantasmée du monde des truands. Le second degré n’y a pas de place. Tout l’inverse de l’autre manière -celle d’Audiard, parodique-, où la connaissance des milieux décrits sert à rire des travers des personnages au moyen de situations drôles et de répliques « qui tuent ».
Ni pour, ni contre navigue constamment entre ces deux styles : tantôt il privilégie l’inscription des personnages dans un cadre documentaire -Caty dans son anonyme studio, la bande dans le night-club- ou psychologique -l’ouverture scorsésienne sur les désirs de Jean quand il était adolescent- attestant une volonté de réalisme social à partir duquel l’histoire peut commencer ; tantôt il développe des scènes de comédie, très écrites où soudain, l’exposition au premier degré des situations cède la place à une parodie souvent amusante, mais qui sape l’ancrage du film. Entre le trait sec de Sur mes lèvres de Jacques Audiard et le grand guignolesque des Rivières pourpres de Kassovitz, le polar de Klapisch ne trouve pas son créneau et se perd dans une forme un peu lâche où la volonté d’amuser et le second degré nuisent à la crédibilité d’ensemble.