Drôle d’actrice que Vera Farmiga, consacrée par Martin Scorsese dans Les Infiltrés. Drôle de physique d’abord : visage de petite fille, grands yeux ronds, encadrés de grosses bouclettes blondes, corps mêlant blancheur pouponne et sécheresse très contemporaine. Drôle de jeu ensuite, tout en vertiges et compulsions, qui agace, mais intrigue indéniablement. Drôle de film enfin que Never forever, mélo hors du temps et de l’espace, un peu pataud, mais beaucoup moins banal qu’il n’en a l’air, premier long-métrage américain d’une cinéaste coréenne produite par Lee Chang-dong, dont la présence n’est d’ailleurs pas totalement fortuite.
A New York, Sophie subit sa belle famille coréenne qui le lui rend bien. Belle-mère bourge, revêche et bigote, mari obéissant aux règles de son clan, droit dans son costume et ses bottes. Le couple peine à concevoir un enfant, en souffre, les multiples tentatives d’inséminations et autres prières à l’église les condamnant à accepter, en larmes, leur stérilité. A l’hôpital, la jeune femme croise un beau Coréen donneur, prié de rentrer chez lui pour cause de visa périmé. Petit marché rapidement conclu : la mettre enceinte moyennant finances. Au fil des séances, la romance s’installe, doublée d’un conflit moral très catho sur la fidélité, la transmission, le désir. Tout y passe, d’une scène de ménage dans les rues de Chinatown, aux ébats softs dans une studette élégamment négligée. Puis la grossesse naissante, sommet schizo-romanesque : le technicien géniteur se change en amant officiel, l’épouse bourgeoise en guerrière civique, et le mari en prédateur glacial.
Gena Kim déroule le mélo par séquences proprettes avec une sérénité clinique qui progressivement innerve secrètement le film. Sa manière d’accepter l’emballement du récit avant ses personnages diffuse une cruauté aigrelette qui irradie chaque mouvement, chaque image. Les scènes perdent en intensité dramatique ce qu’elle gagnent en fébrilité : on assiste à une dislocation générale entreprise avec volupté (sensualité des cadres, quête du beau), où les acteurs, scannés des pieds à la tête, sont comme détachés du reste du film. L’empathie n’opère plus que par fractures (hystérie des prises de bec, dérive personnelle de Sophie) alors que Gena Kim décloisonne brutalement les espaces, chacun transitant de la garçonnière prolétaire au pavillon bourgeois dans un flottement vénéneux. Dommage que la cinéaste expédie le malaise, déportant le final dans un ailleurs soudainement onirique et apaisé, qui ramène un peu primairement le film à sa thématique d’inéluctabilité. Il n’empêche, entre pathos, pleurnichements et académismes formels, Gena Kim parvient à dessiner une oeuvre exigeante, trouble et, par éclats, envoûtante.