Adaptation de sa propre bande dessinée, Nausicaä est la première oeuvre à portée mondiale de Hayao Miyazaki et plus généralement de l’animation japonaise. S’y déploie, dans sa surpuissance, le vaste chantier miyazakien tel qu’il s’affinera de film en film. Dans un monde livré au chaos, une petite vallée verdoyante résiste au désastre écologique provoqué par des années de guerre planétaire. Menacée de conflit à son tour, la communauté rurale qui vit là, guidée par une petite princesse capable de voler sur le vent et entretenant un mystérieux rapport avec les animaux, se dresse conte l’envahisseur et tente d’apaiser la colère des Oomu, gigantesques insectes alliés de la nature.
Au rythme des sorties annuelles permettant de découvrir nouveaux films et vieux classiques du maître comme en une foire aux bestiaux, plusieurs évidences s’imposent : la noirceur de ce Nausicaâ, comme celle du Château dans le ciel, est une face du cinéaste parmi les plus passionnantes. L’élan épique qui souffle ici n’est pas celui, amolli par les griseries du flottement ou de l’enroulé moelleux, qui gouverne ailleurs. Il répond à un élan noir où la mort, la sauvagerie, l’ombre des plus folles catastrophes pèsent sur chaque plan. Dans cette veine écologique du petit village autonome qui résiste à l’envahisseur corrompu dont Astérix ou le village de Najac figureraient les clichés absolus, inutile de dire que la finesse autant que la démesure du cinéaste envoient tout le monde dans les cordes.
Esthétiquement, cela revient pour Miyazaki à travailler dans un forçage continu des limites de l’animé. Rien ne fascine plus, ici, que ce qui résiste aux pouvoirs de l’animation : le paysage immobile sur lequel atterrit Nausicaä en ouverture du film, l’immense carapace des Oomu, l’amplitude souveraine des déluges célestes, l’horizon de mer toxique auquel est rivée la planète. L’expression du mouvement est souvent réduite en glissements, coulés, gonflements, intermittences. Elle tient surtout en de saisissants effets de contraste : rupture des échelles de taille au sein d’un même plan, opposition de formes irréconciliables, fixation des vertiges. Une graine minuscule concentre assez d’énergie pour démultiplier les forces de l’héroïne et faire grimacer tout le plan. L’oeil bleu des Oomu passe au rouge, et toute la colère du monde s’abat lentement sur les hommes. Ce n’est pas une news : cet art total et néanmoins minimal trouve chez Miyazaki un horizon définitivement inatteignable.