Une nuit de décembre 1995 à Paris, pendant la grève des cheminots. Une femme (Ariane Ascaride) à la recherche du père de son enfant, entrevu à la télé dans un dépôt SNCF. Un trio de syndicalistes faisant la tournée des groupes de grévistes. Avec ces quelques éléments, une quête, un contexte, une ambiance, Dominique Cabrera réussit un film dense porté par ses quatre interprètes principaux : Ariane Ascaride, Marilyne Canto, Thierry Frémont et Philippe Fretun.
Coécrit avec le sociologue Philippe Corcuff sur la base d’entretiens avec des agents de la SNCF en grève, Nadia et les hippopotames est la version cinéma de Retiens la nuit, réalisé par Dominique Cabrera dans le cadre de la série « Gauche/Droite » commanditée par Arte. Si le film est « politique », abordant aussi bien le thème de l’engagement syndical ou de la force du collectif par rapport à l’individu que celui de l’impuissance gouvernementale contre la mondialisation de l’économie, il ne le fait pas sous la forme de discours assommants genre chef de manif. C’est, au contraire, en instaurant une intime relation avec le spectateur, au creux d’une nuit glaciale, que Dominique Cabrera parvient, en catimini, à faire passer ses idées.
La condensation de l’action en une nuit, en effet, n’est pas étrangère au charme de ce film en forme de road-movie en banlieue parisienne, rythmé par les arrêts au coin du feu dans chaque dépôt SNCF. Cette balade nocturne, de bretelles d’autoroute en cités no man’s land, confère à Nadia et les hippopotames le côté irréel qu’a un décor éclairé par une lumière inattendue. Cette ambiance particulière se reflète alors sur les personnages des syndicalistes : Claire, Serge et Jean-Paul, habituellement si convaincants et convaincus, laissent soudain apparaître leurs failles, aidés en cela par le personnage de Nadia. Interprétée par Ariane Ascaride, celle-ci est totalement extérieure à cette agitation syndicale -sa motivation est autre : dépourvue de ressources, elle veut retrouver le père de son enfant. Elle constitue ainsi un contrepoint « politique », mais aussi un fil conducteur parallèle de l’action. L’affectif prend alors le pas sur le politique, comme une façon différente de fonder le collectif…