Difficile de dire à quel point est attendu tout nouveau film de Spielberg, le cinéaste n’ayant probablement jamais atteint un tel rythme de croisière, enchaînant les films -et les chefs-d’oeuvre- avec une fougue inouïe. Attendu au tournant aussi, ce Munich : dans la phase de maturité qu’on se plaît à chanter depuis A.I. (cf. notre dossier complet dans Chronic’art #23, en kiosque le 31 janvier 2006), un tel projet sonne comme la mise à l’épreuve ultime, rappelant douloureusement les grands films à thèse historiques de la seconde moitié des années 1990, la pire du cinéaste, de La Liste de Schindler à Amistad en passant par Il faut sauver le soldat Ryan. Quelques plans suffisent à effacer les doutes : nerveux, tendu de tout son long, Munich doit beaucoup plus à la grandeur asséchée de La Guerre des mondes qu’aux films à Oscar ensuqués de la période précitée.
Il ne faut évidemment pas se fier à la simplicité du récit de Munich, ouverture documentaire et traque des terroristes palestiniens par divers agents du Mossad à travers le monde, qui n’est pas sans évoquer la fiction politique hollywoodienne rugueuse des années 1970. Comme souvent chez l’auteur, le raffinement et la finesse psychologique demeurent moins absents que relégués à un second niveau -assez complexe par ailleurs- au profit d’une sensitivité de chaque instant. Et comme toujours, la lutte entre l’individu (la question de la légitimité de la riposte ciblée face au terrorisme, cristallisée par les doutes et le flottement du personnage principal) et le cinéaste Spielberg (le film comme réceptacle de l’inconscient et des phobies de l’Amérique contemporaine) vire à l’avantage du second. C’est probablement là que se situe la grande nouveauté de l’oeuvre, disons, depuis Minority report : le noeud dramatique, définitivement limité à un cadre individuel ou familial, se trouve constamment dépassé par une intensité qui vaut désormais comme inscription dans le monde, loin de ce fantasme humaniste un peu désincarné dont Spielberg fut si longtemps le symbole.
D’où la cruauté et la noirceur absolue de Munich, qui s’exerce à travers une mise en scène dégraissée au maximum, tout en éclats et fulgurances : violence et frontalité charnelle, froide montée en tension avant chaque assassinat, refuge dans le détail ou le systématisme (le bricoleur de bombes incarné par Kassovitz). Le risque est celui de la scène de trop : celle de la cave dans La Guerre des mondes, comme celle ici reposant sur un suspense lié à la présence d’une fillette, ou encore la scène d’amour finale renouant quelques secondes avec un pompiérisme aux limites du grotesque. L’avantage est celui du mouvement et de la gerbe : Munich, comme Minority report et La Guerre des mondes, est une véritables machine à visions (le filmage seconde par seconde d’un attentat), le déroulé d’un cauchemar ultraréaliste que quelques fausses notes, comme la rencontre impromptue et théâtrale entre agents de chaque camp, n’atténuent jamais, simples signes de bonne volonté réduits en poudre à la séquence suivante. Depuis quelques films, Spielberg est redevenu l’un des deux ou trois plus grands cinéastes d’action -au sens le plus large du terme- en activité.