Litanie de plans urbains, enregistrement monocorde de gestes quotidiens, l’univers de Mundo Grúa semble peu avenant de prime abord. Pourtant, progressivement, filtre à travers l’aridité de la mise en scène et le grain rugueux du noir et blanc, le portrait humaniste d’un quinquagénaire au bout du rouleau. Celui d’un ouvrier au chômage vivotant sur cette frontière ténue entre pauvreté et misère mais qui refuse obstinément de se laisser abattre.
De lui on ne saura pas grand chose ; un succès fugace en tant que bassiste d’un groupe de rock dans les années 70, un fils, quelques amis fidèles sont les seuls éléments fournis. Car par la force des choses, l’existence de Rulo (Luis Margani, un acteur non-professionnel très convaincant), à l’instar de celle de Rosetta, ne peut se concevoir qu’au présent. Mais là où entre les mains des frères Dardenne le constat social se transformait en une lutte hystérique et inhumaine pour la survie, le jeune réalisateur argentin Pablo Trapero opte pour une laborieuse et monotone persévérance. Deux choix opposés, d’une égale pertinence qu’il ne s’agit pas de comparer même si pour des raisons tout à fait subjectives -peut-être est-ce dû à l’âge avancé du protagoniste, à sa silhouette lourdaude et usée- le second nous apparaît plus poignant encore.
Durant quelques instants un futur est de nouveau possible : il rencontre une femme et suit une formation sur un chantier de construction. Il suffira pourtant d’une simple visite médicale pour que Rulo retourne à la case départ. Inapte au poste de grutier, il est obligé de s’exiler à des milliers de kilomètres de Buenos Aires pour trouver un autre travail sur un autre chantier. Cette dernière partie campée en Patagonie, entre mélancolie et compte-rendu réaliste des conditions de travail misérables d’hommes corvéables à merci, est certainement la plus réussie du film. L’expérience se révélera être un nouvel échec et Rulo, sans jamais se départir de sa bonhomie, repartira vers la capitale. Sans lamento et sans tomber dans le pensum politique Mundo Grúa évoque très justement la dure réalité de l’Argentine. Un pays dont la sourde agonie économique et sociale n’est pas prête de s’achever. Après Rulo, Claudio (le fils) semble emprunter le même chemin obstrué.