Avouons d’emblée que ce film-là, assurément anodin, sorti d’on ne sait où (il a été tourné il y a sept ans, et demeurait inédit jusqu’à présent), avouons qu’il nous pose problème. Sans céder à la sévérité d’une orthodoxie critique un peu raide, disons qu’il nous semble acquis qu’un discours critique valide tient sans trembler une position claire face au problème de l’adaptation. Nourris au sein bazino-truffaldien, nous sommes bien d’accord : une adaptation est d’autant plus réussie que son auteur fait preuve d’infidélité à la matière littéraire. Les adaptations collantes, très peu pour nous. Autres préceptes, en vrac : ce n’est pas parce qu’un livre est bon, ou aimable, que son adaptation sera bonne (l’histoire du cinéma regorge de mauvais roman devenus grands films, et vice versa) ; dans une adaptation, on juge un film, on ne rejuge pas l’œuvre initiale ; qu’importe au fond d’avoir lu le livre et, à la limite, tant mieux si on ne l’a pas même feuilleté, etc. Résumons tout cela par la formule célèbre de l’écueil à éviter : « faire Kafka dans sa culotte ».
Ne donnons pas plus d’importance à ce Mrs Dalloway qu’il n’en mérite. Ce n’est pas lui, et son maigre CQFD, qui viendra bouleverser ces « fondamentaux », comme on dit en sport. Mais il n’empêche qu’on peut s’étonner un peu d’avoir pris un certain plaisir, voire un plaisir certain, à cette adaptation du roman de Virginia Woolf. Fade, plan plan, le film l’est assurément. Pourtant y jaillit par endroits des traces de l’infinie puissance d’écriture de Woolf. Il y a bien quelque chose de scolaire, de laborieux, dans la manière dont le film s’empare de la retranscription visuelle des fameux « flux de conscience » (immense question, vaste chantier) qui ont immortalisé la romancière, avec sur l’oreille le sûr pressentiment que c’est à ce tournant là qu’il est attendu. Il n’empêche, pour emprunter à un vocabulaire qu’on se refuse habituellement, que Marleen Gorris a réussi à retrouver quelque chose du roman -par petites touches, coups de chances ou belles intuitions, qu’importe- et même par moments (rares, mais assez intenses), des étincelles de son écriture, le bouillonnement des sensations : il suffit de ce plan de la main de Lucrezia courant parmi les cheveux de Septimus, et nous voilà conquis, même s’il s’agit du volet le moins réussi du film. Le rire enfui des jours anciens, les insistants regrets, la chaleur commencée d’un jour de juin, la tentation d’une fenêtre ouverte, tout cela passe, ou du moins ravive le souvenir ébloui de la lecture. Tout cela passe par là même où le film est sans intelligence, c’est-à-dire platement illustratif. Alors, on défend les adaptations académiques, hein ? Truffaut, encore : « je réponds : zut ».