Le studio Pixar repousse chaque fois un peu plus loin les limites de l’animation par ordinateur. Cette course au progrès est d’abord une affaire de chiffres ; le vertigineux record de Toy Story 2 (1, 1 millions de rendermarks, une mesure de puissance de calcul) est battu à plates coutures par Monstres & cie qui fait plus que doubler la mise (2,5 millions de rendermarks). La tendance est à la hausse mais fort heureusement ce syndrome Guinness Book a toujours été au service d’ambitions artistiques prononcées. A l’instar de ses prédécesseurs (Toy Story 1 et 2, 1001 pattes) ce quatrième long métrage Pixar est donc avant tout un concentré de drôlerie et d’inventivité et non pas une coquille technologique vide.
Monstres & cie c’est l’envers du décor des phobies enfantines. Ces créatures, tapies sous le lit, dissimulées derrière la porte du placard, dont on craint l’apparition une fois la nuit tombée, ne sont, en réalité, que d’ordinaires employés. Les O.S d’une entreprise fabriquant l’énergie -dont la précieuse matière première n’est autre que le cri des enfants- nécessaire au bon fonctionnement de Monstropolis, une ville sise dans un monde parallèle. Malgré les prouesses de Sulli, un bon gros monstre à la fourrure turquoise et violette, indétrônable « employé du mois » depuis des années, la ville traverse une grave crise d’énergie. Il est en effet de plus en plus difficile d’effrayer les enfants car ils ne crient plus aussi facilement qu’avant.
Y voir une parabole sur l’épuisement d’Hollywood, son impuissance face aux nouveaux médias (jeux vidéos, Internet…) qui captent un large pan de son public, sera un pas que l’on franchira aisément. A sa manière, ludique avant tout, Monstres & cie milite pour la reconversion d’une industrie en voie d’obsolescence. Dans le cadre anecdotique du film il suffit de remplacer les cris par des rires (source énergétique qui se révèle bien plus efficace), à plus grande échelle il s’agit de prôner le tout technologique (base même de l’existence de Pixar et l’une des voies possibles de la régénération d’Hollywood). Sous ses airs de film pour enfants Monstres & cie est donc un bel hymne au renouvellement fabriqué par les premiers intéressés. Pour autant le studio ne se contente pas d’un vain exercice d’auto-promotion de son savoir-faire, par ailleurs indéniable. Au passage le film ne se prive pas d’égratigner la culture d’entreprise, la productivité forcenée ou encore ce sacro-saint bambin qui devient ici source de terreur et de chaos (les monstres ont une peur panique de leurs « victimes », ils ne craignent rien de plus que d’être touchées par elles). Que l’enfant, premier public visé, soit appréhendé comme une créature hautement toxique, est l’une des belles idées d’un long métrage bien plus subversif qu’il n’y paraît de prime abord.