De loin, à plein nez, Monster pue l’escroquerie sensationnelle. Son étiquette « based on a true story » sous le bras, le film s’avance avec l’assurance de son authenticité et la ferme intention de nous en mettre plein la vue. Attention, fait divers : une jeune prostituée désespérée trouve sur sa route une jeune lesbienne en rupture et l’entraîne dans une folle équipée ponctuée de crimes gratuits, ou presque : une balle pour une voiture, un peu d’argent, de quoi tenir avant de s’offrir une vie nouvelle. Qu’on ose lui vouloir du mal, le film se retranche derrière son firewall : Aileen Wuornos a bel et bien existé, elle fut la première serial killer au féminin, elle a sévit au tournant des années 90 et a fini sur la chaise électrique douze ans plus tard. Entouré des deux traditionnels cartons du film de fait divers (1 – « based on a true story » ; 2 – « Aileen Wuornos a été inculpée et condamnée, etc. »), Monster nous hurle à chaque image qu’il ne se pose pas en juge, qu’il a trouvé la bonne distance, entre empathie et refus de la fascination. Il est intouchable : ceci est déduit du vrai, donc c’est bien, donc c’est juste, donc c’est beau. C’est le platonisme revu et corrigé par Le Nouveau détective. La vérité, dans ce genre de golden produit indépendant, est une valeur à situer entre la performance athlétique et l’attraction de fête foraine. Une sorte de Fort Boyard, donc, où la chef d’équipe Charlize Theron entend la réalisatrice Patty Jenkins (son premier film) lui hurler des « respire ! respire ! ». Ce n’est pas facile car la comédienne, trafiquée comme une Fuego de compèt’, est mé-co-nnai-ssable : une quinzaine de kilos de plus à la pesée, de multiples prothèses (oculaire, dentaire, etc.) qui lui font un visage exorbité, qui font d’elle un « monster ». C’est le deuxième critérium de vérité du film : l’histoire est vraie, et l’actrice, là, c’est vraiment Charlize Theron, pour de vrai.
Or tout est faux. Cette débauche de vérisme prostitué en show tapageur, ce naturalisme glauque, qui sont l’essence de la plupart des films basés sur un fait divers, sont ici portés à un point d’exténuation ultime. Sous le maquillage de l’héroïne, on ne voit que ça : la performance d’une comédienne qui joue à se salir les mains (évidemment, elle a reçu un Oscar), la performance d’une caméra qui s’agite pour nous faire profiter des moindres coutures de cette séance de déguisement (comment caser un plan sur les rondeurs provisoires de Charlize ?). A part ça ? La même crasse, partout ailleurs. L’héroïne, prostituée, trouve ses proies parmi ses clients, qu’elle tue sans remords. Des regrets ? Une seule fois, lorsqu’elle découvre dans le portefeuille d’une victime la photo de sa femme, en fauteuil roulant. Les autres, les soudards qui viennent tringler les putes, ils ne l’ont pas volé après tout. Mais le mari d’une handicapée, on peut comprendre, voire être indulgent. Au fond le film soi-disant posé à une juste distance de son sujet, l’épouse dans ce qu’il a de plus sordide. Seule, minuscule et tenace, Christina Ricci existe tant bien que mal, injectant un peu de vérité vraie dans cette arnaque.