Expert en stratégies d’intimidation, humiliant à loisir les élèves – surtout les plus faibles – de son cours de sport, Monsieur Woodcock est le père Fouettard des gymnases, un véritable Pinochet des binoclards et des petits gros en jogging. Lorsque John, l’un d’entre eux, revient dans sa petite ville en véritable héros (c’est une star nationale, auteur du best-seller Dépasser son passé), quinze ans après avoir subi les exactions du tortionnaire, il découvre avec effroi que sa mère file le parfait amour avec la vieille ganache ultraviolente. Il y a dans ce (remarquable) premier film au pitch rêvé un équilibre stupéfiant entre petite comédie calibrée à l’extrême (style lisse, absence de toute prétention d’auteur) et bizarrerie totale, une sorte de flux d’horreur psychologique et d’absurdité physique qui secoue la tranquille pochade d’une irradiante étrangeté. D’où cet élan qui finit par l’emporter – et nous avec : c’est lorsqu’il s’incline l’air de rien dans l’outrance la plus cruelle et la plus cauchemardesque que Monsieur Woodcock se révèle hilarant et vraiment jouissif – scènes de gym où le prof devient une figure du Mal absolu (presque un sommet en la matière, Billy Bob Thornton excellant en bouseux nazillon) et complaisance froide dans le pathétique (la victoire grotesque de John lorsqu’il bat Woodcock au concours de manger de maïs).
C’est que l’ensemble gonfle jusqu’à la faire exploser une donnée assez commune de la comédie post-adolescente, le refoulé psychanalytique de la fable d’initiation (le devenir adulte du héros, son règlement de compte avec un passé honteux), pour en faire la matière ultra-visible, monstrueuse et presque autonome du film – en ce qu’elle prend peu à peu le contrôle de son écriture plan-plan. Le burlesque œdipien, castrateur et malaisant de Monsieur Woodcock apparaît comme une structure électrique à nu, à l’image de la séquence du snackbar répondant à une pure logique de cauchemar éveillé (les amis de John qui relaient à haute voix l’info concernant la liaison inavouable de sa mère en épuisant un champ lexical sexuel hilarant d’obscénité) : les gags sont déshabillés de tout apparat, les fils du circuit n’ont plus de gaine et menacent d’électrocuter personnages et spectateurs à la moindre occasion. C’est ce sec renversement de l’univers lo-fi et coloré de la feel-good comedy en sommet de cruauté et de brutalité acidulées, cette incongruité baroque où la moindre situation semble grossie et distordue par ce qui, ailleurs, resterait enfoui dans l’arrière-fond du symbole ou de la psychologie, qui rendent Monsieur Woodcock si singulier et si déroutant. Une manière d’expérimentation terminale nichée dans la plus modeste simplicité.