Monsieur Papa (Kad Merad) est un honnête français de souche – il s’appelle Robert Pique -, un français travailleur mais chômeur, qui subsiste en repassant les chemises des locataires chinois de son immeuble – il habite dans le 13e. En le voyant réclamer son dû à son ex-patron, Michelle Laroque, working girl dynamique, se prend d’affection pour lui. Elle veut l’enrôler pour tenir le rôle du père inconnu de son jeune fils qui vit mal cette absence. Robert Pique accepte et réussit la mission au-delà des espérances : le moutard a compris l’imposture, mais s’est découvert un grand copain apaisant qui l’aide à progresser en maths. Bien qu’à l’origine, Robert Pique ne souhaitait pas être instrumentalisé comme un gros jouet organique, il n’avait pas le choix. Avant qu’il accepte, la mort dans l’âme, cette mission troublante, une scène le voit compter, à la lumière d’une lampe de cuisine, les maigres dizaines d’euros laborieusement amassées au bout d’une journée repassage.
La séquence résume assez bien le film, aussi bien son naturalisme préhistorique (entre Louis la Brocante et L’Instit, avec des morceaux de pop larmoyante), que sa représentation grotesque, limite obscène, de la précarité. A voir l’infantilisme avec lequel cet avaleur de cachets (cinq films par an) met en scène, la larme à l’oeil, l’idée qu’il se fait de la prolétarisation des classes moyennes, Monsieur Papa est sans doute ce qu’on a vu de plus insoutenable depuis bien longtemps. Par-delà son idéologie pataude, (exotisme exacerbé des minorités visibles, ode aux travailleurs besogneux, glorification du terroir via les valeurs du rugby dispensées par Pique-Merad aux petits chinois du 13e puis aux noirs sud-africains), c’est l’inanité du film qui dérange encore plus, ce vide intersidéral, d’où l’on perçoit les racines profondes du projet, pur caprice d’acteur nanti, simple opportunité que le système semble offrir à Merad sur un plateau d’argent.
L’acteur pourrait arguer qu’au moins, il ne se prend pas pour Orson Welles. C’est vrai, Monsieur Papa est un caprice d’une autre nature qu’une crise mégalomane piteuse (du type Guillaume Canet), un caprice qui a plus à voir avec un loisir onéreux de type golf ou voile, une sorte d’atelier de luxe où l’apprenti cinéaste tient un rôle d’assembleur d’images préfabriquées sans pouvoir (ou vouloir) s’impliquer davantage. Outre l’avenir cauchemardesque d’une nouvelle race de mauvais faiseurs que le film dessine (Monsieur Papa est un produit bâclé, mal fichu), sa transparence en dit cependant assez long sur Merad. Lequel aurait pu profiter de son succès pour étayer, même maladroitement, l’humour bricoleur et non-sensique qui fit sa marque à ses débuts, détourner le système, imposer un nouveau modèle. Au lieu de quoi, il se laisse porter par les diktats de la comédie familiale selon TF1, diluant son identité sans hésitation ni enthousiasme. En accumulant les films, Merad se positionnait déjà dans une logique d’exploitation agressive, qui voilait la sympathie du personnage – on avait l’impression qu’il s’empiffrait. En les fabriquant désormais lui-même, l’impression se durcit : embourgeoisé à l’extrême, Merad paraît à la fois génétiquement modifié et tristement aliéné.