Si fleurie et bondissante soit-elle, ce n’est pas l’allitération en o des deux titres (Pompoko Totoro, 6 o dans le même panier), ni quelque urgence, au fond, qui invite à revenir sur ces deux films phares de leurs auteurs -disons même, leurs meilleurs films respectifs, les deux chefs-d’oeuvre de l’animation pour-enfants-mais-pas-seulement. C’est leur sortie commune en DVD, certes. Mais surtout rassembler ces films, c’est convoquer la double présence poilue de créatures absolument merveilleuses -les Pompokos, les Totoros-, les plus belles offertes par le cinéma japonais. Inutile de rappeler les faits : on connaît l’histoire des Pompokos en guerre contre les humains, celle des Totoros, aussi, et comment d’un air de flûte ils remontent le moral de deux gamines dont la mère est malade. Il faut plutôt revenir sur l’extraordinaire destinée de l’animation japonaise dans nos contrées, sa renommée somme toute récente en regard de sa longue histoire, et en particulier sur sa perception et l’admiration dévote qu’elle suscite, tout autant qu’elle est percluse de nombreux malentendus. On pouvait par exemple s’étonner grandement de la manière dont a été reçu (et vendu) Pompoko : partout s’étalaient des lignes attendries sur le film vu comme un conte merveilleux pour nos têtes blondes, une jolie histoire avec des nounours mignons tout plein. Nous n’avions eu de cesse, ici, de rappeler combien le film de Takahata, pour léger et chou qu’il puisse paraître, était aussi, au moins, un brûlot qui examinait avec le plus grand sérieux la question de la violence politique. Rappelons que les Pompokos, certes festives feignasses à leurs heures perdues, n’hésitent pas devant la menace humaine à recourir à des attentats purs et simples, des assassinats prémédités.
Qu’on nous permette un souvenir personnel : une projection de Mon voisin Totoro dans une salle remplie aux trois-quarts de bambins cinéphiles en culottes courtes. Un tiers d’entre eux semblait ravi du spectacle, ouvrant de grands yeux à chaque apparition d’un Totoro ou du chat-bus ; un autre tiers hurlait de terreur à ces mêmes apparitions (frayeur totale quand la petite fille est sur le bidon du Grototoro et que celui-ci déclenche un ouragan quand il baille, épouvante absolue devant le sourire gigantesque du chat-bus) ; le dernier tiers restait complètement interdit, ne sachant s’il fallait rejoindre l’un ou l’autre tiers précité. Ce n’est pas pour surévaluer une noirceur qui hanterait les films des deux compères de Ghibli. Mais il faut dire aussi combien leur imaginaire est habité par des visions qui ne sont pas si aimables que l’on veut bien le dire parfois. Peut-être que la force de ces films tient justement à cette manière de relier par un fil invisible (l’imaginaire, justement) l’endroit et l’envers des contes pour enfants : la guerre, l’extermination, la mort (la maladie dans Totoro, le struggle for life dans Pompoko, les bombardements dans Le Tombeau des Lucioles, l’apocalypse dans Nausicaä de la vallée du vent, bientôt dans les salles), et le poil de la bête, les nounours étranges qui animent la rêverie, recommencent toujours leur parade nocturne, flûtes ou métamorphoses, chat-bus ou dragons multicolores. Splendides chimères.