De Keren Yedaya, on ne savait rien avant ce film surgi dans l’ombre de la compétition cannoise. On saura maintenant que le cinéma israélien peut compter, outre sur les cadors Gitaï et Nadjari (dont Avanim devrait sortir d’ici peu, après un passage par la case Arte), sur une cinéaste capable de dépasser les standards de la production nationale et d’entrer dans la ronde d’un art et essai haut de gamme et néanmoins accessible. Mon trésor refuse en effet de s’en démarquer d’un point de vue thématique (fiction sociale, portrait de femme, éloge d’une émancipation religieuse et sexuelle) pour mieux dynamiter les conventions d’un cinéma tiraillé entre esthétisme indé et réalisme du reportage.
L’intrigue est assez classique, décrivant la lente déchéance d’une mère qui élève seule sa fille, Or, et qui se prostitue pour tenir la maison. Son mouvement l’est tout autant, suivant pas à pas, en paliers successifs, la chute de l’une et par ricochets celle de l’autre : drôle de mimesis où la mère et la fille affirment leur résistance à l’ordre social en plongeant simultanément dans l’enfer de la soumission sexuelle et de la dépossession de soi. Le filmage est remarquable, captant de Tel-Aviv une moiteur suffocante et un mystère loin de tout folklore. Longs plans-séquences, images fixes et hypnotiques, assèchement général de la mise en scène : il y a là une rigueur et un refus de l’artifice qui ouvrent sur une beauté nue, cruelle, incisive et cependant toujours à distance. Yedaya refuse tout à la fois posture moralisatrice (ni causes ni effets, juste la description) et apnée du reportage (au coeur de l’action). Nul effet bâtard d’entre-deux pour autant, se joue plutôt ici la friction entre rigueur du point de vue et liberté d’un mouvement qui résiste à toute captation : le battement rugueux et objectif de la survivance.
La manière presque mécanique de suivre une logique du pire est compensée par ces afflux de vie et d’intimité chaleureuse qui traversent le film : comme si importait moins pour la cinéaste de décrire la descente aux enfers des deux personnages que l’entente secrète qui les lie, sorte de pacte intolérable et néanmoins capable de les rassembler dans une fusion autodestructrice. Accord en forme de fiction du martyr qui trouve en plusieurs instants des pics bouleversants : embrassade de larmes et de sang dans une salle de bain transformée en dernier refuge, cocon inaltérable de la demeure, omniprésence des figures bienveillantes en arrière-plan. Il faut louer ce néoréalisme blafard dont la cruauté de façade, loin de toute complaisance morbide, réactive en secret la croyance en un ré-enchantement perpétuel du mouvement de la vie.