Évidemment, il ne fallait pas s’attendre à ce que Maïwenn fasse l’unanimité avec son nouveau cocktail énergétique, sorte de compilation autobiographique sur l’amour avec un grand A et le naturalisme avec un grand N. Mais passé le jeu des évidences comparatives (scoop : Maïwenn, c’est moins bien que Pialat ou Cassavetes), il est un peu regrettable que la discorde autour du film agisse surtout comme révélateur de préjugés strictement sociologiques : c’est au fond le même réflexe pas très glorieux qui, à Cannes, encourageait les uns à moquer les gesticulations gueulardes des néo-beaufs de Mon Roi, et les autres à ironiser sur les états d’âme des bohémiens dépressifs du dernier Garrel.
Que Maïwenn s’offre les services du fils Garrel pour un gros second rôle n’est d’ailleurs pas innocent : sa présence dit combien ce cinéma aimerait plaire à tous, et combien il est condamné à ne jamais y arriver. En reconvertissant l’habituel objet de désir du cinéma d’auteur en Arlequin désexualisé et lucide (c’est lui qui, en frérot bienveillant, s’ingénie tout le long du film à alerter le personnage de Bercot sur la toxicité de sa relation), en esquissant puis déjouant le duel potentiel entre lui (la mascotte post-Nouvelle Vague) et Vincent Cassel (le Casanova frenchie), autrement dit entre deux idées du masculin autant que du cinéma français, la réalisatrice prouve en tout cas qu’elle n’est pas dupe de ses contradictions. Et comme son personnage, elle ne prêtera qu’une oreille inattentive à l’un, pour n’avoir d’yeux que pour l’autre.
Fiction thérapeutique, Mon Roi diagnostique l’amour comme une maladie qui s’installe puis dégénère, dont on ne peut jamais vraiment guérir mais avec laquelle on apprend à négocier. Après s’être fracturée les ligaments croisés au ski, Tony (Emmanuelle Bercot) entre dans un centre de rééducation d’où elle se remémore, entre deux séances de kiné, sa relation tumultueuse avec Georgio (Vincent Cassel), par l’intermédiaire d’épais flash-backs qui forment le gros du récit. À travers ce genoux brisé (“je-nous”, comme le précise son chirurgien), Maïwenn ne fait pas vraiment mystère de la métaphore : la blessure vient marquer le point de rupture du personnage en même temps qu’il annonce la promesse de sa cicatrisation. C’est l’un des reproches qu’on a fait au film, et c’est pourtant sa meilleure idée : cette façon de renvoyer chaque détail prosaïque à sa dimension psychologique, de souder le symbolique directement à la surface des séquences. Chez Maïwenn, le sens ne doit prendre aucun détour : il doit partir des entrailles du personnage et directement jaillir à la face du spectateur, foncer bille en tête pour venir boursoufler le tissu da la fiction.
D’où un film un peu neuneu et très bruyant, tout en grimaces, crises de nerf, vaisselle cassée et morve dégoulinante, mélo patapouf dédié aux coeurs brisés, aux mâles dominants et à la débâcle sentimentale, lequel parvient néanmoins à s’emparer de son duel amoureux avec une obstination qui finit par payer. Le penchant de Maïwenn pour la simulation frénétique du réel trouve dans ce couple qui s’entredéchire l’objet idéal autour duquel s’enrouler, comme s’il s’agissait de pousser l’imposture amoureuse dans ses retranchements, d’en tester la résistance, d’éprouver sa capacité à muter, à épouser d’autres formes, à profiter de la moindre brèche pour s’insérer et se relancer (voir la séquence du divorce, montée comme une scène de mariage).
Une posture d’entêtement aveuglé conditionnée par l’impeccable numéro de Cassel, moitié-fanfaron moitié-prédateur, brusquant à son gré le cours des événements, inféodant chaque situation à ses simagrées carnassières, faisant de chaque scène une fête dont il serait le centre d’attraction. Maïwenn a bien raison de conserver son roi dans une zone opaque, d’où il peut affirmer sa toute puissance sans jamais avoir à révéler l’intérieur de ses motivations : toujours coupable mais jamais condamné, le despote en acquiert un statut de force intouchable, à la fois magnétique et inquiétante.
Cette complaisance à l’endroit du bourreau permet à ce survival conjugal de faire couler deux énergies contradictoires et hostiles, qui trouveront dans la dernière séquence (une réunion parents-profs où le couple feint de s’ignorer, tout en dévorant l’autre des yeux en cachette) une sorte d’équilibre fébrile, de point de friction pacifié. C’est qu’il y a deux films dans Mon Roi : le premier (pas terrible) est un récit d’affranchissement et de guérison, façonné par les plaintes, les gémissements, les criailleries ; le second est plus tortueux et navigue dans les eaux troubles de l’irresponsabilité amoureuse — c’est la déclaration d’amour d’une esclave à son maître, l’histoire d’une sujétion affective jamais complètement résiliée, progressivement retournée en admiration passive.
Pas franchement sortie du pire (les séquences avec les djeuns du centre de rééducation, niveau sitcom), Maïwenn réussit néanmoins et pour la première fois à préserver la délicatesse toxique de son sujet du rouleau-compresseur de son écriture. Ici, les excès et les limites de la réalisatrice s’annulent provisoirement pour se confondre exactement avec celles de son personnage. Reconnaissons à l’une et l’autre de se frotter sans gant au dangereux combustible de la passion amoureuse, d’assumer d’y perdre leurs plumes sans jamais chercher à se laver du soupçon de l’avoir fait exprès.