Alors que pour beaucoup Jean-François Stévenin est d’abord une présence physique, ce comédien aux manières à la fois inquiétantes et burlesques, rares sont ceux qui connaissent le cinéaste, auteur de deux longs métrages, Passe-montagne et Double messieurs, pourtant unanimement salués par la critique lors de leur sortie. Quinze ans après, Stévenin revient à la réalisation avec Mischka. L’occasion de retrouver un cinéaste libertaire, auteur d’un pittoresque road movie champêtre.
Mischka c’est donc d’abord une histoire de mouvements, les pérégrinations sans queue ni tête de quatre drôles de zozos : Gégène l’infirmier en manque de sa fille, le vieux Mischka fatigué de la vie, Jane à la recherche de son père et Joli-Coeur, l’ancienne choriste de rock. Alors que la France entière sombre dans l’hystérie des vacances d’été, ces quatre-là ne cessent de se croiser, de village en village, leur itinéraire anarchique formant au final le tracé d’une famille en voie de recomposition. Car le film de Stévenin ne traite que de ça, la famille, celle dont on souffre et celle dont on rêve. Réunir quatre êtres qu’a priori tout sépare, c’est ainsi former le vœu d’une communauté idéale parce qu’improbable. Mais Mischka n’est pas le délire mielleux d’un soixante-huitard incurable, surtout pas, car Stévenin imagine ici une configuration originale pour filmer les retrouvailles de ses héros. Derrières les allures brouillonnes du film, ses raccords à l’arraché et sa manière d’emprunter constamment des voies de traverses imprévisibles se cache un passionnant work in progress qui confirme le talent de Stévenin dans l’invention de nouvelles formes de récit.
Mais si l’on ne se dépêtre pas facilement de ce film qui continue à nous trotter régulièrement dans la tête, c’est aussi parce que Stévenin n’a pas son pareil pour mettre en scène des héros « pas comme les autres », des marginaux de la France profonde loin des rebelles flamboyants d’un cinéma plus normé. Chez Stévenin, on sirote sa Kro tiède lors d’un pique-nique improvisé près d’une artère d’autoroute à la lisière entre la campagne et la ville, la nature et la civilisation. Toute la séduction qui se dégage du film tient dans cette alliance pour le moins folklorique entre le grotesque des descriptions et la délicatesse des sentiments en jeu (voir la très belle scène « d’explication » entre Jane et son vrai père), singulière alchimie qui fait de Stévenin l’une des voix les plus précieuse du cinéma français.