Au moment où Martyrs se rêve en coup de tonnerre pour le cinéma d’horreur made in France, Alexandre Aja sort discrètement son second film américain après l’excellent remake de La Colline a des yeux. Aja est l’exception absolue de cet état des lieux. Il nous permet de mesurer,d’abord, combien il ne fait pas bon épanouir sa mise en scène à l’ombre de nos clochers : l’incroyable cap franchi par le cinéaste entre son premier film (Haute tension, réalisé chez Besson) et son second (La Colline a des yeux, sous les auspices de Wes Craven) le prouve : les bras-de-fer qui ont poussé Aja à faire plier Craven lors du tournage n’ont fait que booster ses intuitions de mise en scène. Au contraire, le fumisme allié à au formatage idéologique du circuit Besson phagocytaient irrémédiablement Haute tension et son twist inouï. Le drame de la production est bien le mal le plus profond du cinéma de genre français.
Après, c’est sûr, il y a le talent. Tous les cinéastes propulsés ces dernières années dans l’enfer de la série B hollywoodienne n’ont évidemment pas eu la même réussite qu’Aja. Siri (Otage), la paire Moreau / Palud (The Eye), voire Richet (le très mineur remake d’Assaut) ou Kassovitz (le minuscule Gothika), n’ont obtenu qu’un retour fissa en charter direction Roissy. Voilà peut être pourquoi Mirrors prend bien malgré lui une telle importance symbolique à nos yeux. Tenter de confirmer est un luxe que seul Aja a pu se payer à ce jour : les attentes n’en sont que plus disproportionnées. C’est assez injuste tant le film, par son entêtement à bien faire, ne prétend à aucun instant au chef-d’oeuvre. Remake très lointain d’un obscur film coréen (au contraire du travail de mimétisme prodigieux de La Colline), Mirrorsdécrit la plongée dans la folie d’un père alcoolique fraîchement séparé (Kiefer Sutherland en mode 24 heures chrono) qui découvre, lors de ses gardes de nuit, le passé apocalyptique d’un vieil hôtel de Manhattan. Le pitch horrifique repose sur une idée géniale (des miroirs saturés de cauchemars menacent de jeter des malédictions démentes à la face de ceux qui s’y contemplent) dont Aja ne fait pas grand-chose. Mais l’essentiel, au fond, est ailleurs : Aja n’a jamais été un esthète de la peur, il reste à des années lumières des maîtres du genre et vaut simplement comme artisan prometteur (il n’a pas 30 ans), capable d’instaurer un rythme, un ton, une atmosphère qui ne relâchent que rarement leurs effets sur le spectateur. C’est sur ce terrain, au fond, que Mirrors ré-ouvre les perspectives de La Colline a des yeux, dans lequel le cinéaste échouait à améliorer l’original (son grand défi naïf) pour en retrouver l’exacte pulsation, se tapir dans ses moindres replis, en épouser le moindre froissement de plans. Mirrors est à ce titre beaucoup plus personnel, et s’il rate certains coups décisifs (les scènes de miroir, vraiment pataudes), gagne sur un autre terrain : celui de la modestie à emballer un objet parfaitement fini.
On ne demande finalement rien d’autre que ce plaisir simple à revenir aux bases de la série B (mettre tout dans la bataille en sachant bien où on va), un rapport frontal, lucide et vivifiant au genre. Les fautes de goût, les tressautements de l’intrigue sont ainsi rattrapés en permanence par un admirable mouvement d’ensemble : un film tirant de son atmosphère paranoïaque le fluide d’une fuite ininterrompue en avant. Alors l’impact visuel souvent très impressionnant des plans d’Aja (qui en fait un peu une sorte de petit frère de Rob Zombie – The Devil’s rejects, Halloween), la belle idée de jouer en permanence le numérique un peu cheap contre le retour au premier plan des vieux SFX eighties, tout porte le sceau d’une signature et d’un élan parfaitement circonscrits et adaptés aux moyens mis en jeu. Modeste et généreux, élégant dans son geste et plein d’une énergie rafraîchissante, Mirrors rayonne par son exemplaire simplicité : une manière de dresser humblement son petit campement au milieu du désert.