Au-delà du dogme 95 et de toutes les remises en questions cinématographiques qu’il tente (vainement ?) de provoquer, Mifune apparaît avant tout comme une honorable œuvre de fiction. Par la description méticuleuse de ses personnages (toujours aussi tordus), son histoire riche et extrêmement bien construite (très brièvement, les tribulations d’un mythomane tiraillé entre sa femme, son frère demeuré et une gouvernante ex-pute), ce film étonne et captive à la fois. Ceci dit, on ne peut s’empêcher de réfléchir sur la réalisation énigmatique de Soren Kragh-Jacobsen qui, dans sa toute simplicité, a l’air de vouloir montrer le vrai visage de l’aventure danoise…
Dès le troisième épisode, le tableau des restrictions imposé par Von Trier et Vintenberg en arrive à être réduit au rang de carte de visite (le premier plan du générique des trois films affiché fièrement, tel un label de qualité), et le long métrage de Kragh-Jacobsen ne cesse d’échapper aux règles, en les transgressant ou en les détournant habilement… Le réalisateur s’est notamment amusé à faire jouer des musiciens hors champ afin d’éviter un recours à la post-production ; l’utilisation d’un échafaudage pour l’élaboration d’un plan d’ensemble lui a de même permis de remplacer les accessoires professionnels de prise de vue ; il confesse par ailleurs avoir enfreint les « commandements » sur bien d’autres points… L’utilisation obligatoire de l’éclairage naturel confrontée à la volonté du réalisateur d’utiliser du 35mm (plutôt que de la vidéo) donne souvent lieu à un grain crasseux et sous-exposé, caricaturant presque l’habituelle mauvaise qualité d’image des films du dogme. Ce petit procédé commercial (disons les choses telles qu’elles sont), permet donc au spectateur d’identifier dès le premier coup d’œil la marque de fabrique de ce long métrage…
Tous ces détails nous laissent penser que seuls les avantages publicitaires de cette alternative danoise en vogue ont motivé le réalisateur. En effet, celui-ci s’est finalement peu soucié du prétendu vœu de chasteté, ou peut-être un minimum, uniquement pour entretenir les apparences… Mais peut-on vraiment lui en vouloir de démystifier ainsi (malgré lui ou non) cette « nouvelle vague », derrière laquelle se cache ce qui constitue peut-être l’un des plus grands foutages de gueule du cinéma ? Non, tout comme il est difficile d’attaquer Von Trier ou Vintenberg qui ont, eux aussi, (timidement) désobéi aux consignes, tout en signant deux très bons longs métrages. Il faut même féliciter Kragh-Jacobsen qui, dans un grand élan d’hypocrisie, s’est amusé à souiller le dogme sans états d’âme. Il a ainsi confirmé ce que ses deux prédécesseurs avaient commencé à nous dire : ces règles sont avant tout un prétexte pour faire des films, et elles finissent toujours par être transgressées.