On le disait déjà à l’époque de Men in black 2, les films de Barry Sonnenfeld ont l’air de sommes d’occasions saisies au vol, ou manquées – coups de poker qui rejoueraient un peu à chaque fois, en condensé, l’accident par lequel commença la carrière du réalisateur (Tim Burton et Terry Gilliam, en 1991, refusent La Famille Addams qui lui échoit alors). Surtout, les cartes doivent sans cesse être redistribuées, les scènes ne s’enchaînent que dans l’amnésie, au moins partielle, des précédentes. L’amnésie reste l’un des thèmes centraux de la saga Men in black, emblématisée par le « neuralizer », ce petit flash qui efface la mémoire des témoins gênants pour maintenir le secret de l’existence alien sur terre. Et permettre en somme à l’histoire de rester sans vertèbre, façon série bouclée.
Chez Sonnenfeld, ne pas mettre de côté l’argument cinéphilique, avancé un peu facilement depuis le début – correspondant en gros au cinéma fantastique fauché des années 50, Ed Wood et Barbara Steele – serait prendre ses défauts pour des qualités (lourdeur incessante de la mise en scène, nullité des sfx, chutes comiques souvent pas formidables) alors que la notion d’artisanat et de bricolage enchanteur, dans le cinéma s-f américain, s’est de beaucoup effondrée sous l’utilisation du numérique comme outil de base (servant également, en grande partie, à Men in black). Sonnenfeld ne s’embarrasse d’aucun modèle parental, de même qu’il se libère aussi de toute interprétation morale, se confondant vite avec les cibles qu’il se choisit initialement (familles bien pensantes dans La Famille Addams – en réalité familialiste jusqu’au macabre -, politique d’immigration dans Men in Black – déplacée seulement des étrangers aux aliens). Jusqu’ici, un seul double six est jamais sorti de ce cinéma écrit et monté au coup de dés : La Famille Addams, précisément, formidable errance bouffonne en château de famille, toujours compliquée d’un climat de folie séculaire, et d’amour monstre, de quelque chose de passionnel qui la transcende en permanence.
Ce charme spécial, qui devrait changer en flâneries occultes les petites cocasseries assez nulles que sont les autres films de Sonnenfeld, ne reviendra plus. Echappant aussi, donc, à Men in black 3. Dans le 2, l’agent K (Tommy Lee Jones) avait perdu la mémoire, passé au « neuralizer » ; il s’agissait, pendant une bonne partie du film, de la lui faire retrouver (ce qui permettait pendant ce temps-là de ne pas raconter autre chose). L’idée, et le risque de Men in black 3, est d’avoir troué la mémoire du film lui-même, faisant de K le souvenir perdu. Emporté dans un vortex temporel, plus personne ne se souvient de lui si ce n’est l’agent J (Will Wmith), qui partira dans le passé pour le retrouver, en jeune (Josh Brolin). Non content d’avoir passé le film au « neuralizer », le scénariste a ajouté un personnage de voyant, qui du temps, comme il le dit, a une vision pleine et totale : passé, présent et futur télescopés entre eux. Sonnenfeld s’amuse beaucoup avec cette situation de trous et de tortillages temporels (dans le passé les gadgets sont parfois plus high-tech que dans le présent), censés monter d’un cran le désossement du récit au profit du seul gag (la révélation finale relève moins du secret dévoilé que de la tarte à la crème du voyage dans le temps). Si l’affaire marche un peu au début, ce n’est rapidement plus le cas, le gag ne trouvant plus la moindre place dans la débâcle formelle à laquelle aura mené cette petite expérience. Notons-le tout de même, puisque la trilogie est bouclée, et que l’heure est au bilan : Men in black 1 < (Men in black 3 = Men in black 2).