Une première manière de rentrer dans Memory Lane consisterait à identifier sa relative parenté avec La Vie au ranch, autre beau premier film découvert en 2010. Comme chez Sophie Letourneur, on s’attelle ici à un portrait de groupe, en s’immergeant dans une bande d’amis vingtenaires d’où s’extrairont à peine deux ou trois figures dessinées avec un peu plus de précision. L’agenda des deux groupes est comparable (bouffes, soirées…), et dans les deux cas l’ambition de la mise en scène consiste à capter l’authenticité de personnages et de situations qui ne s’écartent jamais d’une stricte quotidienneté. La ressemblance s’arrête là : les personnages de Hers ont quelques années de plus, habitent la proche Banlieue plutôt que Paris, et leur profil sociologique est difficilement comparable (Hers fait le portrait des classes moyennes, Letourneur celui d’une jeunesse dorée). Surtout, le style diffère : Letourneur s’inscrit dans une tradition de cinéma vérité et impose immédiatement sa logorrhée vivifiante et tonique. Plus en retrait, Memory Lane est tout en spleen, chuchotements et non-dits.
Il y avait a priori pas mal de raisons de se méfier de ce cinéma doux-amer sur le temps qui passe, et les amitiés qui s’estompent ou résistent. La bande-annonce, très chichiteuse, avait de quoi inquiéter, et le film ne vient pas immédiatement à bout de cette réticence : il y a en cours de route plusieurs occasions de se cabrer – voix off et musique neuneu, et surtout le maniérisme qui guette à l’horizon de la délicatesse et de la finesse du trait. La Vie au ranch frôlait parfois le trop plein : beaucoup de bruit, beaucoup de corps entassés dans des espaces restreints. A l’inverse, Memory Lane occupe des lieux presque dépeuplés, dans la torpeur de l’été : parcs municipaux, piscine, lycée désert activent une nostalgie à la fois un peu facile, et indéniablement saisissante. Dans les ballades de ces adulescents mélancoliques, difficile de retrouver Rohmer, dont l’ombre pourtant est partout – et d’abord dans la présence, au casting, de Marie Rivière. Memory Lane est loin de sa netteté, de son ironie, de sa puissance. A l’évidence, Hers a surtout apporté avec lui quelque chose du jeune cinéma allemand : sa nostalgie, son émotivité à la fois très forte et contenue, le rapprocheraient plus d’œuvres (très belles aussi d’ailleurs) telles que Marseille ou Désir(s).
Cette petite musique n’en finit pas moins par se charger d’une émotion immense, du fait de la bienveillance et de la finesse du regard. La tutelle de Rohmer se trouve plutôt ici : comme ce dernier, dont le cinéma continue d’être associé, absurdement, aux vacances à Deauville, alors qu’il a su dépeindre comme personne en France les classes moyennes, Hers dessine avec une belle attention des personnages dont le cinéma français se montre singulièrement avare, dans un soucis topographique qui est sa plus grande qualité. Plus apaisée que dans Le Rayon vert, Marie Rivière est magnifique, dans un rôle de quinquagénaire isolée. Le ton ici est parfait : cette tristesse n’est jamais martelée, ni totale, toujours nuancée. Le reste est à l’avenant : il y a eu d’autres histoires de coeur cette année, mais peu d’aussi touchantes que cette romance qui n’en finit pas de démarrer. D’autres récits de maladie, mais pas de scène aussi bouleversante que cette ballade entre une fille et un père condamné. Dans ces moments-là, Memory Lane n’est pas loin d’être magnifique.