Une actrice splendide (Radha Mitchell, excellente dans Pitch black et Man on fire), un titre-concept… Mélinda et Mélinda avait tout pour confirmer la frêle embellie de Woody Allen après Anything else. Hélas, à peine retapé, le réalisateur se replonge illico dans un radotage desséché des plus déprimants. Plus mauvaise caricature que le film-somme qu’il aimerait figurer, ce dernier opus attriste. Les acteurs, New York, le cinéma et la dramaturgie, tout passe au sani-broyeur d’un cinéaste devenu complètement gâteux. Contrairement à Altman dont le Company sonnait la pré-retraite de vieux renard fainéant nourris à la péloche, le filmage automatique d’Allen se fait strident, survolté, battant la cadence dans le vide. Comme un TOC de cinéma, un mauvais rhumatisme qui ne s’assume jamais comme tel.
Et c’est tout le problème d’Allen depuis bientôt dix ans. Cette satanée vieillesse soit ignorée (Le Sortilège du scorpion de Jade où il se prenait encore pour un jeune homme), soit mal liftée (des plus jeunes jouant son rôle) conduit immanquablement à un fatras d’impasses pathétiques dont Mélinda et Mélinda constitue le point d’orgue. Dès l’entame, impossible de discerner la position d’Allen qui oscille constamment entre frime de monstre sacré et caricaturiste discount. C’est même deux Woody pour le prix d’un qu’on nous sert sur une table de brasserie chic d’où ressort deux facettes du cinéaste, deux neurones qui se disputent Mélinda et la fabriquent suivant des principes de café-théâtre. D’une tragédie pseudo Bergmanienne avec photo sombre, crise de couple et traumas en tout genre, on rallume la lumière pour la version rigolote : celui du Woody Allen des dernières années, qui gesticule derrière des acteurs vaguement ressemblants (après Brannagh et Sean Penn, place à Will Ferrer), qui ressasse les mêmes bons mots d’auteur devant une galerie de jeunes beautés (Chloé Sévigny, Amanda Peet) plus momifiantes que pimpantes.
Même Radha Mitchell et son rôle bi-goûts rejoindront le cimetière des égéries d’un film allénien, comptabilité rasante mais baromètre infaillible de l’état de santé du cinéaste. Car plus les actrices défilent et plus Allen meuble. Effet pervers de l’âge, il puise dans ses réserves, se construit des petits mausolées, autant de classiques rétrécis au lavage (Escrocs mais pas trop revenait sur le burlesque de ses débuts), comme de longs bégaiements filmiques. Au moins les plus ratés d’entre eux avaient un squelette. Mélinda et Mélinda, lui, n’est plus qu’une articulation avec des lambeaux de viande, un va et vien aussi cadencé qu’un peace-maker. Un film de plus, c’est déjà ça, mais plus que jamais, ça sent le sapin.