Contrairement à L’Effet papillon qui sort cette même semaine, May n’a rien d’un petit gadget ludique. Le premier long-métrage de Lucky McKee a beau se situer dans une perspective très post-moderne (mêler Carrie et le mythe de Frankenstein), son tissu de références fonctionne comme en sourdine, sur un mode très peu démonstratif. Pour preuve son intrigue extrêmement banale, à mille lieues de tout exercice m’as-tu-vu : May, une jeune assistante-vétérinaire binoclarde, s’ouvre au monde extérieur après avoir vécu pendant de nombreuses années recluse en compagnie d’une inquiétante poupée. Quelques flirts et déceptions amoureuses plus tard, la jeune fille décide de constituer un amant idéal à sa façon… Entre slasher distendu et chronique postadolescente trouble, le film ne choisit pas, préférant garder flous ses objectifs jusqu’à la dernière minute du film.
L’étrangeté de May tient dans cet entre-deux, avec d’un côté une guirlande de citations assez évidentes (de Lucio Fulci à L’Histoire d’Adèle H.), de l’autre un mouvement opaque du récit qui épouse la vision plus ou moins déficiente de l’héroïne (les lunettes à travers lesquelles tout semble effroyablement atone et distant). La terreur s’installe progressivement, sans que jamais McKee ne recoure à des effets de style trop appuyés -tout juste une vitre qui se craquèle, quelques sons-parasites ou un montage qui semble par instants se détraquer. Le reste s’apparente à une sorte de sitcom autiste dans laquelle rencontres, ruptures et trouées gore se succèdent en une suite de scènes extrêmement fluides et calmes. Le thème du double (la correspondance sourde entre May et sa terrifiante poupée) pas plus que les citations de Polanski, DePalma ou Argento ne suffisent à rendre compte du film : c’est que la distorsion et le dérèglement des motifs traditionnels du fantastique travaillent May comme une implacable lame de fond.
Trouble et opacité font avancer l’intrigue, au détriment de tout suspense, jusqu’à ce que le film ouvre sur une réelle folie : un dernier tiers qui fait surgir, sous les apparences de la normalité la plus totale, un déluge de visions traumatisantes. Mélange envoûtant de douceur adolescente et de cauchemar schizophrène, May ne ressemble à rien de connu, redistribuant avec une belle assurances les cartes de l’horreur contemporaine. A la manière des premiers De Palma ou des premier Cronenberg, s’impose ici un regard singulier, impeccablement maîtrisé, sur le genre et ses infinies potentialités de renouvellement. L’occasion, sans aucun doute, de saluer la naissance d’un cinéaste passionnant.