De loin, Martha Marcy May Marlene semble lorgner vers l’inquiétante étrangeté d’un cinéma de la jeune fille qu’on pourrait situer quelque part entre Virgin suicides, Pique-nique à Hanging Rock ou le 3 women d’Altman. Une différence toutefois, essentielle : si l’inquiétude de ces films naissait de la clarté suspecte de leurs images, celui-ci préfère invoquer par facilité le brouillage paranoïaque des frontières entre rêve et réalité – ornière convenue dont un Take Shelter, par exemple, déviait génialement tout en donnant l’impression d’y être pris jusqu’au cou.
Après trois ans passés dans une secte, Martha (Elizabeth Olsen, petite soeur des soeurs Olsen) fugue, recueillie par sa grande soeur et son mari dans leur grande maison de vacances. Repos idyllique vite contaminé par le raccord régulier avec les images du passé sectaire (effet d’inquiétant retour du même : le présent d’un geste quotidien se poursuit dans le passé), ou par le décalage, lui aussi récurrent, entre une situation et un comportement inapproprié (Martha se baigne nue dans le lac, vite rattrapée par sa soeur qui, la traitant comme une malade, lui propose de lui prêter un maillot). Le film avance ainsi sur le fil d’une linéarité monotone, celle d’un paradis figé faussement perturbé par une inquiétante image de derrière, et la narration ne progresse, à peu de frais, que par l’intensification de ce jeu d’échos un peu volontariste. Lequel, totalement sourd aux palpitations imprévisibles du souvenir, ne semble au fond motiver qu’un triste medley de scènes fétiches du cinéma américain indépendant, entre incommunicabilité, explosions de ressentiment et crises de larmes.
Faute de savoir comment relier entre elles ces vignettes réchauffées, Martha Marcy May Marlene est de toutes les luttes (rêve/réalité, passé/présent, norme/marge), alors qu’il s’en trouvait une plus concrète, à peine esquissée et trop vite délaissée. Lors d’une scène de repas le beau-frère de Marcy lui demande à quoi elle compte occuper son temps après, et Marcy, qui s’énerve, prétend vouloir juste exister. Pour le frère cela ne suffit pas, il faut gagner de l’argent, on ne peut pas se contenter d’exister. En découle une querelle grossièrement idéologique entre une hippie et un matérialiste, dont la scène semble assumer toute la portée caricaturale et par là même l’impasse. Il y avait pourtant, dans ce double refus du présent (le confort dont Martha, chez la sœur, jouit pourtant bel et bien) et de l’utopie (son désir sincère d’une alternative dont la secte fut la tentative ratée), dans ce refus adolescent à la fois du foyer et de la fugue, matière à faire exister de manière plus intéressante le décentrement du personnage. Petite coquetterie formelle d’autant plus fumeuse qu’elle est peureuse, Martha Marcy May Marlene semble finalement engoncé comme son couple dans un certain american way of filmmaking, maniérisme sundancien relevé à la sauce psychologisante.