Qu’est-ce qui pousse Marie-Jo, quadra joviale et mère de famille, à songer au suicide, lors d’une promenade sur un littoral ensoleillé ? Le film de Guédiguian commence par ce contraste, un visage assombri face à l’azur, au bord d’une mer étincelante. De ce désespoir tranquille, cette résignation mêlée à un sentiment d’éternité, Marie-Jo et ses deux amours ne se départira plus. Quelques séquences plus tard, Marie-Jo retrouve Marco, son amant. Entre ce dernier et son mari Daniel, elle ne veut pas choisir. Ces « deux amours » lui font quelques peu délaisser ses engagements auprès de ses collègues de l’hôpital. Elle ne vit plus que dans cet équilibre précaire, entre exaltation et culpabilité. Marco, guide maritime, revenu seul d’une vie de voyage et d’aventures, éperdu d’amour pour elle, ne supporte plus de la voir partir à tous moments. Lorsque Daniel apprend par hasard sa liaison, l’étau se resserre et le drame se noue : Marie-Jo aime deux hommes, d’un même amour entier, aussi réel et vivace, mais le partage s’avère impossible.
Guédiguian a su éviter avec élégance et générosité les clichés de l’adultère : Marie-Jo n’est pas une femme infidèle, mais vit selon son cœur, même si tout s’y oppose. Emouvante, sincère, entière, elle ment à Daniel pour ne pas se mentir à elle-même. On admire l’impartialité du cinéaste, la justesse de son regard -qui ne rend aucune justice. Les scènes d’amour avec Marco, d’une beauté objective, émouvantes par la neutralité de la caméra, ne sont pas mises en concurrence avec une vie familiale routinière. Marie-Jo et Daniel ont aussi leurs moments d’intimité, il se dégage de leur couple une joie paisible, toute aussi agréable à voir. Les personnages de Guédiguian laissent venir à eux la tragédie, ils ne la précipitent pas. Lorsque Marie-Jo décide de vivre un temps avec Marco, Daniel choisit d’attendre : il souffre patiemment, chez lui, au boulot, devant sa télé. Car Guédiguian ne fait pas l’impasse sur les trivialités de la vie, ici la souffrance est inscrite dans les choses simples, partage avec le bonheur une même évidence. Il faut saluer le naturel d’Ariane Ascaride, de Jean Pierre Daroussin et de Gérard Meylan, sur un pied d’égalité, et qui trouvent ici chacun leur meilleur rôle, loin de tout numéro d’acteur pourtant. Leur jeu aplani donne l’impression que les sentiments de chacun se fondent les uns dans les autres. Guédiguian parle ici au plus près de la nature humaine, de ses égarements et de son impuissance. Avec une rigueur et une humilité qui forcent l’admiration.