Non, c’est vrai, Régis Wargnier n’est pas vraiment un cinéaste qui nous fait rêver. Et oui, c’est vrai, nos chers parlementaires ont récemment voté une loi exigeant que soient reconnus les bienfaits du colonialisme à la française. Oui, en ce climat pourri où il n’est plus question que de communautarismes, de racisme anti-ceci ou anti-cela, où on mesure avec stupeur combien ces questions sont très loin d’être réglées, Man to man tombe à pic. Et non, le nouveau Régis Wargnier n’est pas l’événement. Même s’il clame que les Pygmées sont nos amis, sont des humains comme toi et moi, brother.
Le film s’ouvre en forêt. Avec des arbres. Afrique, 1870 : un ethnologue écossais (Joseph Fiennes) et une marchande d’animaux exotiques au nom à consonance batave (Kristin Scott-Thomas) capturent deux Pygmées au coeur du continent noir. Les ramènent au pays du Loch-Ness dans un gros gros bateau, où un triumvirat d’ethnologues (Jo et ses excellents confrères) les examine, les mesure, les observe, les disséquerait volontiers s’ils n’étaient pas précieux, parce que deux. 1870, c’est un peu plus de dix ans après la publication de Sur l’origine des espèces de Darwin. Et les scientifiques pensent avoir devant eux le graal, sous forme d’un jeune couple de Pygmées : le chaînon manquant, le trait d’union entre les grands singes et Joseph Fiennes. D’où que les deux captifs sont considérés comme des sauvages, des animaux qu’on exhibe dans des zoos.
MAIS : sous le regard de mollusque émerveillé d’un Joseph Fiennes aussi magnétique qu’un bigorneau, les Pygmées filmés comme des E.T. sous leur capuche font des choses tellement délire (des constructions logico-cognitives, des raisonnements hypothético-déductifs, de la musique et des farces), que l’ethnologue FAIT TILT et COMPREND qu’ils sont humains comme toi et moi, brother. D’où, odyssée pour libérer Toko et sa girlfriend du zoo, les rendre aux mystères de la vie sauvage, les faire échapper des griffes de l’autre ethnologue, dont on réalise d’emblée -à considérer sa mine hostile et sa moustache honteusement prétentieuse- qu’il n’est pas prêt à renoncer à ses théories et à ce qu’il considère comme les acquis de la science raciste et de l’anthropométrie du XIXe siècle.
Grosse production internationale, Elephant man du pauvre à l’ambiance scottisho-greystokienne, Man to man est joué d’avance, flapi en ses moindres convulsions humanistes, étouffé par son vouloir-être film de prestige, face d’Oscar et face d’oeuf d’un cinéma dix-neuviémiste. Et puis quitte à faire le procès à charge de l’ethnocentrisme, autant choisir un autre point de vue que celui d’un héroïque ethnologue victorien, qui permet à Régis, toujours à l’aise dans les colonies, de faire du cinéma de papa (au double sens de ringard et de paternaliste, ce qui, vu le sujet, est mal venu). Il y a quelque temps, Rabah Ameur-Zaïmeche (Wesh wesh) nous confiait son désir de réaliser un film sur l’histoire -véridique- de Calédoniens ramenés en Europe pour être montrés à l’exposition universelle de Paris en 1900. C’est bien sûr ce film-là qu’on aimerait voir.