Premier film de Gus Van Sant, inédit en France, Mala noche arrive auréolé d’une aura de film culte, à laquelle le passage à Cannes 2006 à la Quinzaine des réalisateurs n’est d’ailleurs pas étranger. Adapté d’un récit intime du poète Walt Curtis, le film décrit les errances d’un jeune homosexuel amoureux d’un immigré mexicain, à Portland. Entre menaces policières et relations ambivalentes, entre douceur et cruauté juvénile, Mala noche n’est jamais très loin du Pasolini d’Accatone et du Godard d’A bout de souffle, au moins pour cette forme de décontraction dans l’adversité et la détresse, cette espèce de détachement qui est l’apanage de la jeunesse quand elle est consciente de sa beauté et sait qu’elle est un rempart contre toutes les douleurs infligées par la dureté du monde.
Ils sont rares les films qui donnent comme Mala noche, le sentiment d’avoir devant soi des étoiles filantes, qui brillent d’une extrême intensité tout en étant d’une fragilité cristalline, à la fois surpuissantes et menacées de se fêler au moindre choc. Il y a peu de psychologie dans Mala noche, il y a surtout des états (de grâce, de douleur, d’hébétude, de joie) qui empêchent chaque seconde un peu plus les personnages de se projeter dans l’avenir, condamnés en quelque sorte à vivre un perpétuel présent, un immuable état d’enfance fait de petites rapines, de menues trahisons et d’élans généreux.
On voit déjà combien l’avenir, la capacité à se projeter en avant n’est pas le fort des personnages de Gus Van Sant. L’amour des losers magnifiques, de cette jeunesse qui disparaît brusquement avant même d’avoir vécu, on la retrouvera par la suite dans presque toute son oeuvre. Le paradis perdu était déjà là, sans doute dénué de la morbidité douce et éthérée qui grandira peu à peu chez le cinéaste. Dans Mala noche les corps gardent encore ce rien de trivialité et de bonhomie qui rend le film si émouvant.