Déclarée économiquement moribonde, l’industrie du cinéma de Hong Kong ne souffre pas pour autant d’une crise artistique. Elle se permet même de produire quelques-uns des cinéastes les plus audacieux du moment. Au même titre que Wong Kar-waï et Tsui Hark (dont on attend avec impatience le retour d’Hollywood), Fruit Chan en fait partie. En marge de la mode lancée par le cultissime Chungking express -objet de copies aussi nombreuses qu’inutiles-, Made in Hong Kong, réalisé à la même époque, possède un style et une ambiance uniques. Ceux qui ont déjà vu le film (présenté dans de nombreux festivals avant de sortir enfin en France) comprendront le défi que représente l’évocation en quelques lignes d’une œuvre si dense visuellement.
Fruit Chan nous convie à un déferlement d’images aussi variées que belles. Chaque plan du film est en soi un événement narratif et visuel qui redéfinit de manière inventive le langage cinématographique. La diversité des cadres, les irruptions alternatives du ralenti et de l’accéléré, les surimpressions, l’usage du flou, et l’exploration de toutes les potentialités de la bande son constituent les principaux éléments du style protéiforme du cinéaste. Cette attention accordée aux capacités esthétiques du support s’enrichit cependant d’un regard quasi documentaire sur la jeunesse des quartiers populaires de Hong Kong qui préserve le film d’un certain maniérisme. A l’égal de Nagisa Oshima dans Contes cruels de la jeunesse, Fruit Chan réussit à rendre sensible l’état d’esprit d’une époque grâce à l’évocation du milieu adolescent, dans lequel se reflètent de manière exacerbée les espoirs et les déceptions populaires. Derrière le parcours chaotique du voyou Mi-Août, la maladie incurable de Ah Ping, et le suicide d’une jeune écolière, se profile le désarroi suscité par la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Le talent de Fruit Chan repose en grande partie sur les libertés qu’il prend avec la construction de son récit. Parfois l’histoire s’arrête lors de stases formelles qui ont valeur d’interrogations : l’insouciance des jeunes filles qui sautent à la corde, et qui est posée en contrepoint du suicide de l’une d’elles, ou bien l’évocation des effets narcissiques qu’engendre la détention d’un pistolet. D’autres fois, au contraire, c’est le réalisme qui prime, et Fruit Chan construit de longs plans séquence à partir de discussions familiales, ou filme à la dérobée les habitants de la cité dans leur quotidien.
Hormis certaines séquences qui se distinguent par leur euphorie (voir la promenade exutoire au cimetière), l’humeur générale du film est plutôt sombre. Les adolescents du film sont pour la majeure partie des petits malfrats potentiels, ou des collégiens dont le jeu favori est de frapper plus faible qu’eux. Fruit Chan nous décrit un monde en mutation, perdant ses repères (la symbolique fuite des pères de famille vers la Chine), et à l’avenir plus qu’incertain (l’ombre menaçante du « grand frère » rouge).
A mi-chemin entre la transparence néoréaliste et la fantaisie d’une approche expérimentale, Made in Hong Kong révèle la puissance d’un cinéma total.