Ma vie sans moi, c’est le bon Noël du film d’auteur européen avec son sujet existentiel et sensible traité-avec-délicatesse, ses acteurs collant à leurs personnages-forts et sa garantie prestige : production tamponnée Almodóvar (attention talent) -mais à part les propres films du Madrilène, la société « El Deseo » n’a jusque là rien proposé de folichon. Bref, une belle arnaque qui ne dit pas son nom, enrobée d’un sérieux et d’une pose chichiteuse 100% esbroufe. Ça commence par une petite gorgée de bière. L’héroïne pieds nus dans le gazon, ruisselante de pluie, chante les vertus de la communion avec la nature : c’est si bon de sentir son corps, le cosmos, tout ça. A deux pas de la maison de sa mère amère avec laquelle elle entretient une relation orageuse, Ann, femme de ménage, vit dans une caravane avec son mari chômeur, qu’elle aime, et ses deux jolies petites filles, qu’elle chérit. Une vie sans soi. Un jour, patatras, elle apprend qu’une tumeur lui ronge le ventre, elle va mourir dans trois mois. Ne rien dire à personne, réagir. 1. Une liste de résolution : boire, fumer, dire à ses enfants qu’on les aime, coucher avec un autre homme, dire tout ce qu’on pense, etc. 2. Arranger les choses, renouer les fils distendus, avec le secret espoir de voir, depuis l’au-delà, les uns et les autres s’épanouir malgré la mort (c’est mieux sans moi, mais c’est grâce à moi). Moralité : le prolo, cet animal à fiction, n’expérimente la vraie vie et son vrai sens qu’à partir du moment où, sortant d’un primitif état de nature, il se découvre en tant qu’être-pour-la-mort.
Pas un gramme de sincérité dans tout cela, mais de l’émotion tic toc à vendre au poids. S’y niche, in fine, un souci de rémunération des sentiments. Grandes scènes blanchâtres de confession, où l’on raconte -une infirmière se souvient comment elle a veillé 36 heures sur des nouveaux-nés siamois morts dans ses bras, comment elle a changé de service, pourquoi elle n’a pas d’enfants : ça touche-, où l’on se raconte, où chacun, selon une répartition faussement démocratique des affects, a droit à sa scène pleine-d’humanité. Rien de pire que ce cinéma pseudo-arty vampirisé par l’Amérique comme seul horizon de fiction (cf. In the cut de Jane Campion), bouffi en vérité par de basses prétentions auteurisantes, chaussé de semelles de plomb et trop satisfait de lui-même pour être honnête.