Dommage que le titre français n’ait pas su restituer la mélancolie légère et la gravité secrète qui font l’attrait et l’originalité de ce film. Il l’ampute aussi d’une partie de son sujet : autant que la relation mère-fille, c’est un certain sens américain de la famille et de la sédentarité qui est en cause, confronté à l’errance et au déracinement. Le tout est enveloppé avec humour, dérision et pop songs sucrées, car jamais Anywhere but here, film sensible et intelligent, ne court le risque de s’appesantir sur les drames familiaux et sur les incertitudes de l’adolescence.
Adèle (Susan Sarandon) a décidé de quitter Bay City, morne ville du Wisconsin, et son second mari, un tout aussi morne professeur de patin à glace. Elle emmène sa fille du premier lit, Ann (Nathalie Portman), 14 ans, et décide de tailler la route jusqu’à Beverly Hills, où elle compte trouver un poste de prof. Le renversement est plaisant : la mère se comporte comme une vamp en fugue tandis que l’adolescente, qui n’a aucune envie de quitter sa ville natale et sa famille, tente de lui faire admettre ses frasques et la convaincre de faire demi-tour. Tout au long du film, la mère et la fille seront sur ce pied d’égalité, usant chacune tour à tour de son autorité sur l’autre : Adèle veut vivre la grande vie sans en avoir les moyens (le « rêve californien » se révélera à tous égards décevant). Ann, loin de chez elle, regrettant un père qu’elle n’a jamais connu, lui reproche son immaturité et son égoïsme. Elle saura, pour le meilleur et pour le pire, « tout sur sa mère » : possessive, fantasque, déraisonnablement dépensière, l’image maternelle en prend pour son grade. Aucun des mille petits chantages affectifs, dont seules les mères ont le secret, ne sera épargné à la jeune fille, qui rêve d’une impossible indépendance.
Wayne Wang, réalisateur inspiré (mais pas toujours), bénéficie d’un scénario solide et d’excellents acteurs : il ne lui en faut pas plus pour livrer un film personnel, plein de charme et de perspicacité, qui alterne avec aisance les moments graves et dignes et d’autres d’une dérision franche et gentiment cyniques, selon une recette qui lui appartient. On retrouve la manière caressante d’aborder les personnages, cette façon à la fois amusée et inquiète de raconter les cruautés de la vie, la communication difficile et balbutiante entre les êtres, tout ce qui avait fait la fortune de Smoke. Le film est moins convaincant dans l’épisode du retour vers l’Est (qui repose il faut dire sur une couture très visible du scénario), lorsque le drame familial bascule dans la violence, qui n’est décidément pas le registre du metteur en scène. Les affrontements, les rancœurs et les conflits ne sont jamais si justes que lorsqu’ils sont diffus, plongés dans la matière affective, empreints d’angoisse et de remords. Pourtant, cette mère qui vampirise littéralement son enfant est aussi son meilleur atout. Compréhensive, aimante, elle va douloureusement lui montrer le chemin de la liberté. Anywhere but here est un film généreux et touchant, plein de sève, magnifiquement incarné. Susan Sarandon est parfaite. Quant à Nathalie Portman (elle était la gamine de Léon et portait le somptueux masque de la reine dans The Phantom menace), elle se montre ici brillante et extrêmement attachante. Une révélation.